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L’ABBÉ GALIANI

revient perpétuellement sous sa plume et nuit au naturel. Il y a des jours, on le sent, où il se pince pour faire rire. Ajoutez, comme inconvénient, des indécences fréquentes, incroyables, même dans le siècle de Diderot et de Voltaire, et qui n’ont de précédent que chez Rabelais : « Ne donnons pas gain de cause aux gens délicats, répétait Galiani ; je veux être ce que je suis, je veux avoir le ton qui me plaît. » Il a usé et abusé de la licence. Dans un temps où la librairie aurait tous ses loisirs et pourrait se permettre toutes ses largesses, ce qui serait à faire, ce serait un volume unique de Galiani, dans lequel on n’admettrait que ce qu’il a fait de mieux, ses meilleures lettres, dont on respecterait en tout le texte, dût-il paraître un peu salé et mordant ; on se contenterait de ne pas multiplier les échantillons en ce genre. On élaguerait les lettres d’affaires, celles où il rabâche, où il se bat les flancs pour avoir trop d’esprit. On dégagerait de la sorte et on mettrait dans tout leur jour des pages fines, neuves, délicates, les lettres sur la Curiosité, sur l’Éducation, celles sur Cicéron, sur Voltaire commentateur de Corneille, celle où il trace le plan d’une Correspondance entre Carlin et Ganganelli, et tant d’autres. On n’a jamais mieux parlé de la France, on ne l’a jamais mieux jugée que l’abbé Galiani ; il faut l’entendre expliquer pourquoi Paris est la capitale de la curiosité ; comme quoi « à Paris il n’y a que l’à-propos ; » comment nous parlons si bien des arts et de toute chose, en n’y réussissant souvent qu’à demi. À l’occasion d’une Exposition au Louvre et de je ne sais quelle critique qu’on en avait faite : « Je remarque, dit-il, que le caractère dominant des Français perce toujours. Ils sont causeurs, raisonneurs, badins par essence ; un mauvais tableau enfante une bonne brochure ; ainsi, vous parlerez mieux des arts que vous n’en ferez jamais. Il se trouvera au bout du