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M. BAZIN.

qu’il a écrit, il n’a perdu aucune occasion de décocher contre elle son trait malicieux. Je me suis amusé, en le relisant, à relever les endroits dans ses œuvres ; ils sont innombrables. Tantôt, à propos des solennités de réception, il déclare doucement et d’un ton de doléance que « le temps est passé, il faut bien en convenir, de ces réunions brillantes que la mode comptait parmi ses fêtes. » Tantôt, faisant allusion aux prix annuels, il plaisante dédaigneusement l’Académie « qui décerne en médaille d’or son aumône de gloire aux pauvres honteux de la littérature. » Il est inépuisable sur ce sujet-là. Voulant en venir à publier son propre Discours qui a obtenu le prix, il commence par en railler les circonstances, par montrer ce prix en l’honneur de Malesherbes proposé sous la monarchie légitime et décerné sous la dynastie de Juillet, non sans avoir été quelque peu modifié dans ses conditions et dans son programme. Il fait en petit comme Cicéron et comme Chateaubriand, qui se moquaient l’un du triomphe, et l’autre du Cordon-Bleu, tout en ambitionnant de les obtenir. Or, je vous en prie, où toute cette petite guerre inaperçue a-t-elle conduit M. Bazin ? À être pendant dix années le lauréat proclamé et bien renté de l’Académie, le lauréat inamovible. Lui, qui avait si peur de paraître tomber comme un autre, comme un de nous tous, dans quelque contradiction avec lui-même, il n’a pas échappé à celle-là.

Il est vrai que, par un reste de fidélité à ses épigrammes, il n’a jamais cédé aux suggestions amicales qui lui furent faites plus d’une fois de se mettre sur les rangs pour un fauteuil, bien qu’il réunît certainement à cet effet toutes les qualités à la fois solides, sérieuses, distinguées et même mitigées, qu’on préfère ou qu’on exige.

Je reviens à lui, tel qu’il était aux pleines années de