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CAUSERIES DU LUNDI.

eu soin de réaliser pour lui de longue main toutes ces conditions de flânerie heureuse (y compris, bien entendu, le célibat) ; et, comme ce flâneur encore qu’il a si bien décrit, il complétait la ressemblance par la crainte des visites qui retiennent chez lui l’honnête homme qui veut sortir. Il ne les aimait guère, assure-t-on, et ne les encourageait jamais. Là où il était le mieux à rencontrer et à entendre, le plus à son avantage peut-être, c’était au Cercle des Arts, son lieu d’habitude, où il venait tard et où il se plaisait assez à parler quand un petit nombre de gens d’esprit l’environnaient. Il s’y était même fait aimer. Enfin, c’était un des esprits rares et l’un des originaux de ce temps-ci. Il m’eût été facile de donner de lui un portrait en apparence plus favorable de tout point, et aussi plus effacé ; mais je crois que la plus grande faveur qu’on puisse faire à un homme distingué et qui a de belles et hautes parties, le plus vrai service à rendre à sa mémoire d’homme de Lettres, c’est-à-dire d’homme qui veut, en définitive, qu’on se souvienne de lui, c’est de le montrer le plus au vif qu’on peut, et le plus saillant dans les lignes de la vérité. C’est ainsi du moins que ceux qui viendront après seront à même de prendre une idée de lui et de le reconnaître entre tant de gens également distingués, qu’on loue d’une manière uniforme et monotone.

NOTE.

un homme qui a beaucoup connu M. Bazin, et qui avait le droit de se compter dans le très-petit nombre de ses amis, m’a écrit au sujet de l’article précédent, et, tout en trouvant que j’avais fidèlement esquissé la misanthropie flâneuse et légèrement acrimonieuse de M. Bazin, il a pensé que je n’avais pas indiqué suffisamment pour ceux qui l’ont connu de près, ce qui en rachetait et en excusait les saillies quelquefois désobligeantes : « Sous cette enveloppe