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MADAME DE POMPADOUR.

pour le tout, et qui peut gagner la partie, quoique sans religion, sans mœurs et sans principes ». Le plaisant est que Louis XV se croyait des mœurs et des principes plus qu’à Frédéric, et il en avait en effet un peu plus, puisqu’il le croyait.

Battue au dehors, faute de héros, dans son duel contre Frédéric, Mme de Pompadour fut plus heureuse de sa personne, à l’intérieur, dans sa guerre à mort contre les Jésuites. Elle leur avait offert sa paix à un certain moment ; ils refusèrent les avances contre leur usage. Elle était femme, femme d’esprit et maîtresse du terrain ; elle se vengea. Elle fit cette fois tout le mal possible à ceux qui lui en voulaient faire. Des publications récentes ont éclairé d’un jour vif ce point intéressant[1].

Il y eut donc, dans la carrière et le crédit de Mme de Pompadour, deux époques distinctes : la première, la plus brillante et la plus favorisée, fut au lendemain de la paix d’Aix-la-Chapelle (1748) : là elle était complètement dans son rôle d’amante jeune, éprise de la paix, des arts, des plaisirs de l’esprit, conseillant et protégeant toutes les choses heureuses. Il y eut une seconde époque très-mêlée, le plus souvent désastreuse et fatale : ce fut toute la période de la guerre de Sept ans, l’époque de l’attentat de Damiens, de la défaite de Rosbach et des insultes victorieuses de Frédéric. Ce furent de rudes années, et qui vieillirent avant l’âge cette faible et gracieuse femme entraînée à une lutte plus forte qu’elle. Pour avoir le degré précis des fautes commises par chacun à cette date, il faut attendre la publication, qui ne saurait

  1. Voir l’Histoire de la Chute des Jésuites au xviiie siècle, par le comte Alexis de Saint-Priest. — Mais il faut y ajouter désormais, comme rectifiant ce que M. de Saint-Priest a eu lui-même de trop précipité dans ses conclusions, le Père Theiner (Histoire du Pontificat de Clément XIV, 1852 : toutes les pièces du procès y sont.