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M. DE MALESHERBES

On voit d’ici la complication et le dédale. Malesherbes, qui était d’ailleurs premier président de la Cour des Aides, ne pouvait donc consentir à remplir une mission aussi arbitraire, d’une juridiction si peu définie et d’une responsabilité si périlleuse, que pour obliger son père, et aussi dans l’intérêt des lettres et des sciences, qu’il aimait si vivement, et auxquelles il pouvait être utile.

Il était impossible qu’il contentât tout le monde, ou mieux il était impossible qu’il n’indisposât point presque tout le monde.

On ne peut contenter tout le monde et son père,


il l’éprouva dans son administration et dut se le redire bien souvent ; ce qui n’empêcha point que, le lendemain de sa démission, il ne fût universellement regretté de tous les gens de Lettres.

Le Directeur de la librairie, par sa position, se trouvait le confident et quelquefois le point de mire de tous les amours-propres inquiets ou irrités ; amours-propres de gens du monde, de grands seigneurs, de dévots, de gens de Lettres surtout, il avait affaire à tous ensemble ou à chacun tour à tour, et il en savait plus long que personne sur leurs singularités secrètes et leurs faiblesses. Quelques-uns de ces amours-propres parlaient au nom de la religion et de la morale ; quelques autres (et ce n’étaient pas les moins aigres) se mettaient en avant au nom du goût :


« J’ai entendu dire sérieusement, remarquait-il, qu’il est contre le bon ordre de laisser imprimer que la musique italienne est la seule bonne

« Je connais des magistrats qui regardent comme un abus de laisser imprimer, sur la jurisprudence, des livres élémentaires, et qui prétendent que ces livres diminuent le nombre des véritables savants.