Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/536

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
526
CAUSERIES DU LUNDI.

Si peu ménagé par Voltaire, il ne manquait à M. de Malesherbes, pour se sentir tout à fait dans la vraie voie et dans le juste-milieu, que d’être dénoncé par Pompignan, et c’est ce qui arriva. Pompignan, reçu à l’Académie française à la place de Maupertuis, y avait prononcé un discours de parti qui avait irrité tout le côté philosophique. Voltaire avait riposté par une plaisanterie, les Quand, qui fit beaucoup rire cette société désœuvrée. Pompignan, qui à quelque talent joignait de la sottise, prit de là occasion de rédiger un Mémoire justificatif au Roi (mai 1760), qu’il voulut faire imprimer avec faste en inscrivant le nom du roi en tête et en déclarant à tous : « Le manuscrit de ce Mémoire a été présenté au Roi, qui a bien voulu le lire lui-même, et qui a trouvé bon que l’auteur le fit imprimer. » Moyennant cette grosse apostille, Pompignan prétendait être affranchi de la règle commune et pouvoir se passer de censeur. M. de Malesherbes exigeait qu’il en eût un pour la forme, à moins d’un ordre direct de la Cour qui l’en exemptât, et comme Pompignan, par pure gloriole, persistait à s’en passer, et qu’il avait livré déjà son Mémoire à l’impression, M. de Malesherbos se transporta chez l’imprimeur et fit rompre la planche. On juge de la fureur de l’ambitieux dévot ; il jeta feu et flamme et menaça. Malesherbes dut se mettre en garde lui-même par un Mémoire justificatif qu’il adressa aux principaux conseillers de la petite Cour du Dauphin, où Pompignan se vantait d’avoir des amis : « Après tout, disait-il en concluant, de ce que les Encyclopédistes sont répréhensibles à beaucoup d’égards, il ne s’ensuit pas que leurs adversaires ne doivent être soumis à aucune loi. » Et il expliquait d’un seul mot comment, avec des intentions bienveillantes et une équité qui péchait plutôt par l’indulgence, il réussissait à mécontenter tant de gens :