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M. DE MALESHERBES

« C’est que je refuse très-peu de chose, mais je tâche de refuser les mêmes choses à tout le monde. »

L’Encyclopédie fut une des plus grosses affaires de l’administration de M. de Malesherbes. Dans le principe, l’Encyclopédie avait été projetée par des libraires. « Le Chancelier Daguesseau eut connaissance de ce projet : non-seulement il l’agréa, mais il le corrigea, le réforma, et choisit M. Diderot pour être le principal éditeur, » Ce choix de Diderot est piquant de la part du pieux et timoré Daguesseau, le même qui n’accordait à l’abbé Prévost la permission d’imprimer les premiers volumes de Cléveland que sous la condition que Cléveland se ferait catholique au dernier volume. Malgré toutes les précautions qu’avait pu prendre le pieux Chancelier, les deux premiers volumes de l’Encyclopédie avaient donné lieu à un Arrêt du Conseil qui en ordonnait la suppression, sans néanmoins interdire la continuation de l’ouvrage. Pour parer aux inconvénients à l’avenir, on exigea que tous les articles seraient soumis à des censeurs théologiens, même les articles qui semblaient le plus étrangers à la théologie. Mais ces nouvelles précautions ne tinrent pas ; il y avait eu bientôt du relâchement, et l’ennemi avait trouvé moyen de s’introduire dans la place sous l’œil même des sentinelles. De nouvelles plaintes très-vives s’élevèrent à l’occasion du septième tome (1758), et l’abbé de Bernis, alors ministre, dut écrire à M. de Malesherbes pour aviser à des moyens plus efficaces de censure. M. de Malesherbes, dans une remarquable lettre, répondit au ministre qu’il n’y avait guère, au fond, à compter sur la censure ; que des gens d’esprit, dans un ouvrage de longue haleine, viendraient toujours à bout de l’éluder ; qu’il ne savait qu’un seul moyen sur de remédier aux abus, c’était de rendre les auteurs responsables personnellement de leurs fautes :