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CAUSERIES DU LUNDI.

de républicanisme après Juillet 1830, quand Chateaubriand dit à la duchesse de Berry pour l’acquit de sa conscience : Votre fils est mon roi, et qu’il donne en même temps une main à Carrel, une autre à Béranger, et prend à l’avance ses précautions avec la république future. Les Mémoires, écrits dans cette dernière période, en expriment toutes les contradictions, et contiennent tous les aveux qu’il suffit de rapprocher.

Pour avoir la clef de ces contradictions et s’expliquer tout l’homme, on n’a d’ailleurs qu’à recourir à cette nature poétique et littéraire, qui est essentielle et fondamentale en M. de Chateaubriand : c’est de ce dernier côté seulement qu’on trouvera l’explication. Quiconque le voudrait prendre purement et simplement comme un homme politique, et prétendrait découvrir par des raisons de cet ordre les motifs fondés de ses variations et de ses disparates, n’en viendrait jamais à bout.

Ce qui caractérise le poëte, c’est d’avoir un idéal, et M. de Chateaubriand, dès les dernières années de l’Empire, s’en était formé un en politique. Dans le Discours de réception à l’Académie, il disait :


« M. de Chénier adora la liberté : peut-on lui en faire un crime ? Les chevaliers eux-mêmes, s’ils sortaient aujourd’hui de leurs tombeaux, suivraient la lumière de notre siècle. On verrait se former cette illustre alliance entre l’honneur et la liberté, comme sous le règne des Valois les créneaux gothiques couronnaient avec une grâce infinie dans nos monuments les ordres empruntés de la Grèce. »


Voilà qui est tout à fait joli et séduisant : on arrive à un symbole politique par une image. Cette alliance entre l’honneur et la liberté compose ce que j’appelle l’écusson politique de M. de Chateaubriand. Dans les réflexions qu’il publiait en décembre 1814, il revenait sur cette idée. « Qui pourrait donc s’opposer, parmi nous, à la