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CAUSERIES DU LUNDI.

ils affectent de le faire au milieu des graves devoirs qu’ils se sont imposés par ambition, je les arrête et je les trouve en ceci très-petits et même coupables. Du moment que vous aspirez à gouverner les hommes et à devenir le pilote de la société, sachez du moins le vouloir avec suite et sérieusement. Soyez ambitieux tout de bon et à front découvert, c’est plus noble et plus estimable.

M. de Chateaubriand, en 1814, était moins désabusé en effet qu’il ne voudrait le paraître. Il espérait encore beaucoup, il espérait tout, et parlait de Louis XVIII en conséquence : « Il marche difficilement, disait-il de lui avec toutes les ressources et les complaisances du langage, mais d’une manière noble et touchante ; sa taille n’a rien d’extraordinaire ; sa tête est superbe ; son regard est à la fois celui d’un roi et d’un homme de génie. » Plus tard il empruntera, pour peindre Louis XVIII, quelques-unes des couleurs de Béranger ; mais alors, quand il attendait encore de ce roi impotent sa fortune politique, il le voyait ainsi dans sa majesté.

L’Empereur débarqua de l’île d’Elbe en mars 1815. À cette nouvelle. Chateaubriand prétendait que tout serait sauvé si on le nommait ministre de l’intérieur. Mais il n’eut ce ministère qu’à Gand, et il était déjà mis de côté avant qu’on fut rentré dans Paris. Les nécessités du moment avaient fait considérer Fouché comme l’homme essentiel et unique dans cette crise périlleuse. M. de Chateaubriand avait contre ce choix une répulsion que l’on conçoit très-bien et qu’il dit avoir exprimée à Louis XVIII. À Saint-Denis, au moment de rentrer à Paris, Louis XVIII l’aurait questionné sur cette adoption de Fouché, et Chateaubriand aurait répondu : « Sire, la chose est faite, je demande à Votre Majesté la permission de me taire. » — « Non, non, dites ; vous savez comme