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CHATEAUBRIAND.

nistres, soit généraux, et qu’il devint dès ce moment un collègue intraitable. Il ne se concevait plus que comme premier ministre et Président du Conseil. On ne peut gouverner avec lui ni sans lui, disait M. de Villèle ; on prit pourtant le dernier parti, celui de gouverner sans lui, et M. de Chateaubriand fut renvoyé sans égards, le 6 juin 1824[1].

À dater de ce jour, il rentra dans l’opposition, pour n’en plus sortir qu’un moment, pendant le court ministère de M. de Martignac. Ainsi, depuis sa démission, après le meurtre du duc d’Enghien, jusqu’à sa mort (1804-1848), il passa environ quarante-deux ans sur quarante-quatre dans l’opposition et la bouderie. C’était son élément. On peut même dire que, dans les derniers mois de son ministère, il était déjà à demi dans l’opposition, puisqu’il conspirait contre la loi sur la réduction des rentes, non-seulement par son silence, mais en excitant l’archevêque de Paris, à la Chambre des Pairs, à se prononcer contre l’adoption. Il est vrai qu’il s’agissait de finances, « les finances que j’ai toujours sues, » dit-il quelque part ingénument. Nous avons vu cette même prétention à M. de Lamartine.

« Avec le caractère français, avait écrit M. de Chateaubriand en 4814, l’opposition est plus à craindre que l’influence ministérielle. » Il se chargea de le prouver en mainte occasion, et surtout à partir de 1824. Il ouvrit son feu dans les Débats par deux magnifiques articles,

  1. Il paraît que Louis XVIII avait dit à neuf heures du matin : Je ne veux plus voir cet homme. Il y avait conseil des ministres le même jour. M. de Villèle n’eut que le temps d’envoyer à M. de Chateaubriand l’avis de son renvoi, qui ne le trouva pas à son hôtel. Quelle que soit l’explication, ce fut une chose fâcheuse pour la royauté que M. de Chateaubriand, aux yeux de l’opinion, parût non pas renvoyé, mais chassé.