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PLINE LE NATURALISTE.

étonnés d’avoir des cheveux blancs. Il nous parle de tous les hommes de lettres célèbres de son temps, il correspond avec eux, il écrit à Quintilien, à Suétone, à Tacite : mais c’est à ce dernier surtout que son souvenir est resté tendrement et intimement uni. L’opinion publique, en leur temps, ne les séparait point. Quand un homme instruit, un chevalier romain était au Cirque, et qu’il se trouvait par hasard assis à côté de Tacite sans savoir son nom, après un quart d’heure de conversation, s’apercevant qu’il avait affaire à quelqu’un de connu dans les Lettres : « Vous êtes Pline, lui disait-il, à moins que vous ne soyez Tacite. » La postérité a continué de faire ainsi, et cette touchante confraternité dure encore. Et qu’on ne dise pas que Pline seul gagne aujourd’hui au rapprochement, et qu’il est bien heureux de ce voisinage de Tacite. Tous les deux y gagnent. La figure de Tacite, à n’en juger que par ses seuls écrits, nous paraîtrait trop sourcilleuse et trop sombre, si elle n’était adoucie et comme éclairée par le sourire de Pline. Il rend à Tacite en grâce ce que celui-ci lui prête en autorité.

Pline, à l’exemple de son oncle, est partout rempli de sentiments humains, généreux, pacifiques et compatissants. Il faut voir comme il parle de ses affranchis, des gens de sa maison, comme il les soigne en père de famille quand ils sont malades, comme il les pleure quand il les perd ! Il est homme en tout, et il se fait honneur de l’être. Il y a telle lettre de lui où il semblerait à demi chrétien par la morale. Mais, dans son proconsulat de Bithynie, il se vit en présence des chrétiens eux-mêmes, qui déjà se multipliaient extrêmement dans l’Empire. Il avait à faire exécuter contre eux les Édits, et, tout en y procédant selon les rigueurs d’usage, il éprouvait des scrupules d’humanité ; il en référait à Trajan : « J’hésite beaucoup, dit-il, sur la différence des âges. Faut-il les