Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, III, 3e éd.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas toujours du goût, de ce goût qu’elle-même a si bien défini quelque part la pudeur de l’esprit ?

Et aussi comment, avec un sentiment si vif et si fin de la raillerie, n’est-on pas toujours averti de celle à laquelle on peut prêter soi-même par le temps qui court ?

Pour trouver la réponse à ces problèmes, il était nécessaire de remonter à ce faux idéal primitif dont elle s’est éprise une fois.

Ainsi, une première sensibilité élégiaque dont elle s’est guérie, et, à côté, une certaine idole chevaleresque dont elle n’est pas encore revenue, telle ressort en définitive, à nos yeux, au milieu de tout son esprit d’aujourd’hui, Mme Émile de Girardin.

Rien n’est piquant pour un instant comme de se reporter à ses premiers vers, aux éditions de ses premiers chants qui ont pour vignette une Harpe, quand on vient de relire tout fraîchement les jolis feuilletons dans lesquels se joue, en un sens si différent, un talent également sûr, une plume ferme et fine, une de celles vraiment qui font le mieux les armes. À y bien regarder, la contradiction n’est pas si grande qu’elle paraît ; l’un, je le sais, menait à l’autre ; mais qu’il y a donc à rêver sur les sinuosités du chemin !

Par moments (c’était la mode sous la Restauration) elle faisait des vers religieux ; elle chantait Madeleine et un des touchants miracles du Sauveur. Sa première pièce couronnée commence par une invocation aux Séraphins :

Bienheureux Séraphins, vous, habitants des cieux,
Suspendez un moment vos chants délicieux !…

Ces Séraphins, qui tombent du ciel ou du plafond, viennent là comme, en d’autres temps, seraient venus