Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, IV, 1852.djvu/332

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supplice et de torture morale, dans la nuit qui précéda sa mort, chercha dans la Vie des Saints, que ses filles avaient coutume de lui lire tous les soirs, un grand coupable à qui Dieu eût pardonné ? « Elle s’arrêta à la touchante histoire du bon Larron, qui lui sembla le plus rassurant exemple de la confiance humaine et de la clémence divine, et dont Jeanne Kennedy (l’une de ses filles) lui fit lecture : « C’était un grand pécheur, dit-elle, mais pas si grand que moi ; je supplie Notre Seigneur, en mémoire de sa Passion, d’avoir souvenance et merci de moi comme il l’eut de lui à l’heure de sa mort. » Ces sentiments vrais et sincères, cette humilité contrite de ses derniers et sublimes moments, cette intelligence parfaite et ce profond besoin du pardon, ne laissent plus moyen de voir en elle aucune tache du passé qu’à travers les larmes.

Le vieil Étienne Pasquier sentait ainsi. Ayant à raconter dans ses Recherches la mort de Marie Stuart, il l’oppose à l’histoire tragique du connétable de Saint-Pol, à celle du connétable de Bourbon, qui lui ont laissé un mélange de sentiments contraires : « Mais en celle que je discourrai maintenant, dit-il, il me semble n’y avoir que pleurs, et, par aventure, se trouvera-t-il homme qui, en lisant, ne pardonnera à ses yeux. »

M. Mignet, qui a dû examiner toutes choses en historien et ne donner à l’émotion que de courts passages, a très-bien exposé et démêlé les différentes phases de cette captivité de Marie Stuart et les ressorts qui furent en jeu aux divers moments : il a particulièrement éclairé d’un jour nouveau, et à l’aide des papiers espagnols provenant des Archives de Simancas, les préparatifs si lents de l’entreprise tentée par Philippe II, de cette croisade infructueuse et tardive qui ne se décida qu’après la mort de Marie Stuart et qui aboutit au naufrage fastueux de l’invincible Armada.

Au sortir, pourtant, de ce brillant et orageux épisode de l’histoire du xvie siècle, qui vient de nous être si fortement et si judicieusement rendu, tout plein encore de ces temps de violence, de trahison et d’iniquité, et sans avoir l’innocence de croire que l’humanité en ait fini à jamais avec de tels actes, on se prend à se féliciter malgré tout, à se réjouir de vivre en des âges d’une morale publique améliorée et plus adoucie ; on s’écrie avec le sieur de Tavannes, au moment où dans ses Mé-