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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, XIII, 3e éd.djvu/159

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M. RIGAULT.

dans sa Lettre à Du Fresny. Celui-ci lui ayant lu sa pièce du Lot supposé avant la représentation, il l’avait approuvée, et il se croyait comptable devant l’auteur et devant tous de son premier jugement :

« Il me semble, disait-il, que lorsqu’un ouvrage livré à notre censure nous a semblé bon, nous devons à l’auteur l’hommage public du jugement avantageux que nous en avons porté… Quand il me serait arrivé de trouver bon un ouvrage que le public aurait ensuite jugé mauvais, il n’y aurait pas grand mal à cela, et j’ose assurer que je serais en ce cas moins mécontent de moi, que si, dissimulant lâchement mon estime, je m’étais épargné cette espèce d’humiliation. »

L’abbé de Pons est donc un critique brave, et qui, au besoin, ose approuver tout haut et le premier ; il a, comme nous dirions aujourd’hui, le courage de son opinion et de ses admirations. Il ne croit point aux ouvrages parfaits, surtout au théâtre ; il lui suffit que les beautés rachètent libéralement les défauts :

« C’est, dit-il, l’équitable appréciation de ces beautés et de ces défauts qui est l’objet de la bonne critique. La plupart des gens croient avoir donné une haute idée de leur goût lorsqu’ils ont reproché durement à un auteur quelques fautes sensibles de son ouvrage. Voilà les bornes de leur examen. Ils ne sortiront point de là. Vous ne les verrez jamais citer un endroit heureux, ils ne relèveront jamais une grâce délicate. »

Tel il fut avec Du Fresny, tel nous allons le voir à côté de La Motte dans la querelle commune qu’il épousa, franc, net et vif ; critique fin, paradoxal, mais sincère ; raisonnant son admiration comme toutes choses, et tellement fidèle au tour de son esprit, même en se donnant à La Motte et en se faisant son lieutenant, qu’il n’est pas juste d’estimer l’un et de mépriser l’autre.