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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, XIII, 3e éd.djvu/176

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CAUSERIES DU LUNDI.

poli, assez juste, et où il s’applique à disculper les vers de ce reproche d’air gêné et d’affectation :

« Pour moi, observait-il assez finement, si j’ose dire ce que je pense, je m’en aperçois bien davantage (de cet air contraint) dans des ouvrages de prose, pleins d’esprit d’ailleurs, mais dont le style me paraît bien plus gêné et plus affecté que celui de la poésie. Tel est celui de Saint-Évremond en plusieurs de ses ouvrages. Les mots y sont presque toujours dans une altitude contrainte et forcée ; il faut souvent aider à la lettre pour les entendre, et je suis persuadé que s’ils avaient la liberté de se plaindre, ils avoueraient qu’ils se trouvent bien plus en presse et plus mal à leur aise dans sa prose et dans d’autres ouvrages pareils, qu’ils ne le sont dans les bons vers. »

Le fait est, pour choisir un exemple qui parle à tous, que souvent les mots sont ou ont l’air plus à l’aise chez Racine que chez Montesquieu.

L’abbé de Pons riposta, non sans se féliciter d’avoir rencontré un si galant adversaire, et il reprit la question, ou plutôt il retendit en la changeant de terrain, dans sa Dissertation sur les Langues en général, et sur la nôtre en particulier. Il s’appliqua à montrer l’excellence et la supériorité de la marche et du procédé logique, même pour l’expression. Je résumerai rapidement ses idées, qu’il développera encore dans ses Réflexions sur l’Éloquence ; car dans la tête de l’abbé de Pons tout s’enchaîne, et s’il est exclusif, il reste du moins parfaitement conséquent.

Il est, par principe, un grand admirateur de notre langue, de sa perfection au point de vue de la clarté et de la précision ; il tient pour l’ordre direct et régulier grammatical, qui n’est pas l’ordre sensible et passionné. Fénelon s’est raillé de l’uniformité de la construction française : « On voit toujours venir d’abord un nominatif substantif qui mène son adjectif comme par la main. Son verbe ne manque pas de marcher derrière, suivi d’un adverbe, etc. » L’abbé de Pons rend la pareille de cette moquerie au latin et aux phrases à la Cicéron, « à