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LETTRES


XCV


Ce jeudi 22 décembre 1864.
Princesse,

Souffrez que j’achève une pensée qui a été interrompue. Hier, vous aviez tellement raison que je voudrais ne point paraître avoir tout à fait tort, d’autant mieux que, si je semblais différer d’avec Votre Altesse, ce n’était pas sur le même point. Voici ma pensée : il faut toujours du temps et passer par plus d’un degré pour embrasser et comprendre l’ensemble d’un grand homme. En littérature, nous avons éprouvé cela pour Dante, Shakspeare, Gœthe. En politique, nous avons eu quelque chose d’analogue à faire par rapport à Napoléon. Daignez vous mettre au point de vue d’un public si morcelé, si travaillé en sens divers, et qui n’était point placé comme vous-même, Princesse, au cœur de la tradition et dans la liguée directe de l’homme. Le génie n’était une question pour personne ; assez de monuments, de victoires et