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DE JOSEPH DELORME.


LA SUIVANTE D’EMMA[1]


Ne sit ancillæ… amor pudori.
Horace.


Emma, vous fûtes belle, et depuis Champmêlé
Rien de si cher que vous au public assemblé
Ne reçut chaque soir accueil plus unanime,
N’eut un accent plus tendre et plus de grâce intime,
Et ne fit naître à l’âme aussi touchante erreur ;
Non,… et jamais Contat, Gaussin ou Le Couvreur
N’eurent autant qu’Emma d’artifice et d’empire
Pour ravir d’une larme et troubler d’un sourire ;
Nulle ne déploya des charmes plus aimés ;
Beaucoup, blessés par vous, sans vous être nommés,
Sont morts ; beaucoup en vain vous ont ouvert leur âme ;
Des conquérants grondants, lions au cœur de flamme,
Ont gémi dans vos bras et baisé vos pieds nus ;
Et maintenant, hélas ! que les ans sont venus,
Que vos attraits s’en vont au vent qui les dévore,
Inimitable Emma, vous nous charmez encore :
Vous semblez par instants la même qu’autrefois ;
Vos yeux encor sont doux et jeune est votre voix ;
Votre front a gardé sa chevelure noire,
Votre main sa blancheur, et vos dents leur ivoire,
Et la nuit, au théâtre, un public enchanté
Avec illusion croit à votre beauté.

Mais bien tard, de plus près, quand derrière la scène,
La curiosité, jeunes gens, nous entraîne

  1. N’est-ce point mademoiselle Mars, les soirs d’Hernani ?