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LES CONSOLATIONS.

Ma jeunesse déjà dévorée à moitié,
Et vous me répondez par des mots d’amitié ;
Puis revenant à vous, Vous si noble et si pure,
Vous que, dès le berceau, l’amoureuse nature
Dans ses secrets desseins avait formée exprès
Plus fraiche que la vigne au bord d’un antre frais,
Douce comme un parfum et comme une harmonie ;
Fleur qui deviez fleurir sous les pas du génie ;
Nous parlons de vous-même, et du bonheur humain,
Comme une ombre, d’en haut, couvrant votre chemin,
De vos enfants bénis que la joie environne,
De l’époux votre orgueil, votre illustre couronne ;
Et quand vous avez bien de vos félicités
Épuisé le récit, alors vous ajoutez
Triste, et tournant au ciel votre noire prunelle :
« Hélas ! non, il n’est point ici-bas de mortelle
« Qui se puisse avouer plus heureuse que moi ;
« Mais à certains moments, et sans savoir pourquoi,
« Il me prend des accès de soupirs et de larmes ;
« Et plus autour de moi la vie épand ses charmes,
« Et plus le monde est beau, plus le feuillage vert,
« Plus le ciel bleu, l’air pur, le pré de fleurs couvert,
« Plus mon époux aimant comme au premier bel âge,
« Plus mes enfants joyeux et courant sous l’ombrage,
« Plus la brise légère et n’osant soupirer,
« Plus aussi je me sens ce besoin de pleurer. »

C’est que même au delà des bonheurs qu’on envie
Il reste à désirer dans la plus belle vie ;
C’est qu’ailleurs et plus loin notre but est marqué ;
Qu’à le chercher plus bas on l’a toujours manqué ;
C’est qu’ombrage, verdure et fleurs, tout cela tombe,
Renaît, meurt pour renaître enfin sur une tombe ;
C’est qu’après bien des jours, bien des ans révolus,