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LES CONSOLATIONS.


Mais, depuis quelques soirs et vers l’heure où l’on rêve,
Je rencontre en chemin une blanche beauté ;
Elle est là quand je passe, et son front se relève,
Et son œil sur le mien semble s’être arrêté.

Comme un jeune asphodèle, au bord d’une eau féconde,
Elle penche à la brise et livre ses parfums ;
Sa main, comme un beau lis, joue à sa tête blonde ;
Sa prunelle rayonne à travers des cils bruns.

Comme sur un gazon, sur sa tempe bleuâtre
Les flots de ses cheveux sont légers à couler ;
Dans le vase, à travers la pâleur de l’albâtre,
On voit trembler la lampe et l’âme étinceler.

Souvent, en vous parlant, quelque rêveuse image
Tout à coup sur son front et dans ses yeux voilés
Passe, plus prompte à fuir qu’une ombre de nuage
Qui par un jour serein court aux cimes des blés.

Ses beaux pieds transparents, nés pour fouler la rose,
Plus blancs que le satin qui les vient enfermer,
Plus doux que la senteur dont elle les arrose,
Je les ai vus… Mon Dieu, fais que je puisse aimer !

Aimer, c’est croire en toi, c’est prier avec larmes
Pour l’angélique fleur éclose en notre nuit,
C’est veiller quand tout dort, et respirer ses charmes,
Et chérir sur son front ta grâce qui reluit ;

C’est, quand autour de nous le genre humain en troupe
S’agite éperdument pour le plaisir amer,
Et sue, et boit ses pleurs dans le vin de sa coupe.
Et se rue à la mort comme un fleuve à la mer.