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LES CONSOLATIONS.


VIII

À ERNEST FOUINET


Nondum amabam, et amare amabam ; quærebam quid amarem, amans amare.
Saint Augustin, Confess.


Naître, vivre et mourir dans la même maison ;
N’avoir jamais changé de toit ni d’horizon ;
S’être lié tout jeune aux vœux du sanctuaire ;
Vierge, voiler son front comme d’un blanc suaire,
Et confiner ses jours silencieux, obscurs,
À l’enclos d’un jardin fermé de tristes murs ;
Ou dans un sort plus doux, mais non moins monotone,
Vieillir sans rien trouver dont notre âme s’étonne ;
Ne pas quitter sa mère et passer à l’époux
Qui vous avait tenue, enfant, sur ses genoux ;
Aux yeux des grands parents, élever sa famille ;
Voir les fils de ses fils sous la même charmille
Où jadis on avait joué devant l’aïeul ;
Homme, vivre ignoré, modeste, pauvre et seul,
Sans voyager, sentir, ni respirer à l’aise,
Ni donner plein essor à ce cœur qui vous pèse ;
Dans son quartier natal compter bien des saisons,
Sans voir jaunir les bois ou verdir les gazons ;
Avec les mêmes goûts avoir sa même chambre,
Ses livres du collége et son poêle en décembre ;
Sa fenêtre entr’ouverte en mai, se croire heureux
De regarder un lierre en un jardin pierreux ;