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LES CONSOLATIONS.

Comme il fit au désert les hauts lieux et les cimes.
Mais les hauts lieux, les monts que chérit le soleil,
Qu’il abandonne tard et retrouve au réveil,
Connaissent, chaque nuit, des heures de ténèbres,
Et l’horreur se déchaîne en leurs antres funèbres,
Tandis que sur ces fronts, hauts comme des sommets,
Le mystique Soleil ne se couche jamais.
Sans doute, dans la vie, à travers le voyage,
Il s’y pose souvent plus d’un triste nuage :
Mais le Soleil divin tâche de l’écarter,
Et le dore, ou le perce, ou le fait éclater.
Ces mortels ont des nuits brillantes et sans voiles ;
Ils comprennent les flots, entendent les étoiles,
Savent les noms des fleurs, et pour eux l’univers
N’est qu’une seule idée en symboles divers.
Et comme en mille jets la matière lancée
Exprime aux yeux humains l’éternelle pensée,
Eux aussi, pleins du Dieu qu’on ne peut enfermer,
En des œuvres d’amour cherchent à l’exprimer.
L’un a la harpe, et l’orgue, et l’austère harmonie ;
L’autre en pleurs, comme un cygne, exhale son génie,
Ou l’épanche en couleurs ; ou suspend dans les cieux
Et fait monter le marbre en hymne glorieux.
Tous, ouvriers divins, sous l’œil qui les contemple,
Bâtissent du Très-Haut et décorent le temple.
Quelques-uns seulement, et les moindres d’entre eux,
Grands encor, mais marqués d’un signe moins heureux,
S’épuisent à vouloir, et l’ingrate matière
En leurs mains répond mal à leur pensée entière ;
Car bien tard dans le jour le Seigneur leur parla :
Leur feu couva longtemps ; — et je suis de ceux-là.

D’abord j’errais aveugle, et cette œuvre du monde
Me cachait les secrets de son âme profonde ;