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PENSÉES D’AOÛT.

Il courut de ces mots qu’à la légère on sème,
Et j’en avais conçu prévention moi-même.
Pourtant quelqu’un m’apprit ses abîmes secrets,
Et l’ayant dû chez lui trouver le jour d’après,
Oh : je fus bien touché !

Oh : je fus bien touché ! — Tout d’abord à sa porte
Affiches, prospectus, avis de toute sorte,
Engagement poli d’entrer etde tourner :
Comme c’était au soir, il me fallut sonner.
Une dame fort vieille, et de démarche grande
Et lente, ouvrit, et dit sur ma simple demande
Son fils absent : c’était la mère de Ramon.
Mais quand j’eus expliqué mon objet et mon nom :
« Attendez, attendez ; seulement il repose,
« Car il sort tout le jour ; mais, à moins d’une cause,
« J’évite d’avertir. » Elle entra, je suivis,
Déjà touché du ton dont elle a dit Mon fils.
Pendant qu’elle annonçait au dedans ma venue,
Je parcourais de l’œil cette antichambre nue,
Et la pièce du fond, et son grillage en bois
Mis en hâte, et rien autre, et le gris des murs froids.
Au salon vaste et haut qu’un peu de luxe éclaire,
L’ombre est humide encore au mois caniculaire ;
La dame s’en plaignit doucement : j’en souffris
Songeant à quels soleils burent leurs ans mûris.
Mais rien ne m’émut tant que lorsqu’une parole
Soulevant quelque point d’étiquette espagnole,
— D’étiquette de cour, — Ramon respectueux
Se tourna vers sa mère, interrogeant des yeux.
Oh ! dans ce seul regard, muette déférence,
Que d’éveils à la fois, quel appel de souffrance
À celle qui savait ce pur détail royal
Pour l’avoir pratiqué dans un Escurial !