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PENSÉES D’AOÛT.

L’inscrivant de sa foudre au sein des météores,
Le lui lançait là-bas, aux confins des déserts,
Grossi de tous les vents, de tous les bruits des mers.
À l’auberge, le soir, quand son repas s’achève,
Souvent ce nom nommé, comme un orage, crève.
C’était là son abîme et son rêve effaré !
Car tout ce qui s’en dit de cher et de sacré,
D’injuste et de sanglant, amour, culte ou colère,
Qu’on l’appelle incendie ou fanal tutélaire,
Tout aboutit en lui, le déchire à la fois,
Tout crie au même instant en son âme aux abois,
La tendresse, la chair, en un sens se décide ;
Mais l’esprit se soulève, à demi parricide ;
Le martyre est au comble : ainsi, pressant les coups,
Un seul cœur assemblait cette lutte de tous ;
Invisible, il était l’autel expiatoire
Du génie hasardeux, la Croix de cette gloire.

Monsieur Jean s’en revint en France avec projet.
L’effroi cessait enfin dans ceux qu’on égorgeait.
Il se dit qu’en ce flot de sentiments contraires,
Le parti le plus sûr était d’être à ses frères,
Aux moindres, si privés de tous secours chrétiens ;
Et voilant ses motifs, modérant ses moyens,
Au village rentré chez sa vieille nourrice,
Il réunit bientôt, sous son regard propice,
Ce petit peuple enfant qui s’allait égarer,
Seule famille ici qu’il eût droit d’espérer.
Les filles en étaient d’abord ; mais l’une d’elles
Se forma par son soin à ces charges nouvelles.
Aux plus ingrats moments de son rude labeur,
Trop tenté de penser que tout germe est trompeur,
Que toute peine est vaine, après quelque prière
S’endormant de fatigue, une douce lumière