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PENSÉES D’AOÛT.

Que traversait encor l’enjouement adouci,
Longuement, moi muet, vous parlâtes ainsi :

Je remontais le Rhin de Cologne à Mayence,
À Manheim ; sur le pont nous avions affluence
D’Anglais, d’Américains, tous peuples à la fois ;
Triste était la saison, en août trente-trois.
On allait, et déjà des deux rives voisines
Les bords se relevaient en naissantes collines,
Et préparaient de loin ces rochers et ces tours,
Qui renomment le fleuve et font gloire à son cours.
Nos passagers bientôt, amateurs de nature,
Pour la mieux admirer dans sa nomenclature,
Chacun tenant sa carte et l’œil collé devant,
Laissaient fuir, sans y voir, le spectacle vivant.
Une pluie alors vint et les fit tous descendre,
J’eus désir de rester, et j’avisai d’attendre,
Montant dans ma voiture à l’autre bout du pont,
Que le soleil chassât ce nuage qui fond.
Mais, dans mon gîte à peine au hasard installée,
Je m’y trouvai si bien, exhaussée, isolée,
Et, grâce aux quelques pieds qui passaient le niveau,
Dominant le rivage, égalant le coteau,
Ayant mon belvéder au-dessus des campagnes,
Tenant mon ermitage à mi-flanc des montagnes,
Et, comme d’un balcon, rasant ces bords flottants,
Que je n’en bougeai plus tout le reste du temps.
Les voitures tenaient dans les secondes places ;
J’avais donc près de moi gens d’assez basses classes,
Domestiques d’Anglais, Allemands ouvriers,
Durant le choléra de ces mois meurtriers,
Revenus d’Angleterre ou sortant de Belgique ;
Des soldats regagnant la patrie helvétique,
Licenciés, et qui, dans leur désœuvrement,