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APPENDICE.

puis il quitta ce canonicat pour revenir à son village et à sa cure de Saint-Maurice qu’il se repentait d’avoir quittée. Il y mourut le 13 novembre 1682. Il s’était fort rapproché, dans les derniers temps, de l’abbé de Rancé qu’il alla même visiter sur la fin en son abbaye de la Trappe : il s’y était trouvé assez malade pour espérer y mourir. Il était dans une parfaite union d’esprit avec cet illustre abbé dont l’autorité avait remplacé pour lui celle de Port-Royal. — M. Feydeau, exilé vers ce temps-là à Bourges, avait fait une fois le voyage de Saint-Maurice pour y revoir son ancien ami, et pour lui rendre la visite chrétienne qu’il avait reçue de lui à Vitry ; il avait profité de l’occasion pour lui parler encore du blanc-seing regrettable qui avait été le prix de sa liberté : il essayait d’exciter en lui un remords. M. Du Hamel promit d’y penser de nouveau, et consulta là-dessus M. de la Trappe, qui acheva de lui lever tous les scrupules ; après quoi il écrivit à M. Feydeau qu’il était en plein repos sur cet article, et qu’on lui ferait plaisir de ne plus lui en reparler. — Cependant les adversaires faisaient trophée de sa résipiscence et en exagéraient même la portée. Voici ce que je lis dans le Journal de M. de Pontchâteau, à la date du 27 mars 1676 :

« M. Desprez libraire m’a dit qu’étant allé voir, il n’y a pas longtemps, M. l’archevêque de Sens (M. de Montpezat), ce prélat qui étoit assis auprès de son feu disant son Bréviaire lui demanda comment il se portoit, etc., et peu après si M. Arnauld s’étoit converti. M. Desprez lui répondit qu’il faudroit pour cela qu’il eût été perverti auparavant. Le prélat lui dit : « Vous m’entendez bien. » — « Pardonnez-moi, Monseigneur, » repartit M. Desprez. — « Je demande, dit cet archevêque, s’il a quitté ses sentiments pour prendre ceux de l’Église. » M. Desprez lui répondit qu’il ne croyoit pas que M. Arnauld eût eu de méchants sentiments. « Oh ! bien, dit M. de Sens, j’ai fait une conversion ; devinez de qui ? » — « Le monde est si grand, répondit M. Desprez, qu’il faudroit chercher longtemps pour trouver ainsi une personne singulière. » M. de Sens lui repartit : « C’est un de vos amis, un homme considérable dans le parti, enfin c’est M. Du Hamel » — « Qui ? M. Du Hamel, dit M. Desprez, le curé de Saint-Maurice ? » — « Oui, dit M. de Sens, il m’a avoué ici en présence de M. l’abbé Chanut et d’autres personnes dont je ne me souviens pas, non-seulement que les cinq Propositions sont hérétiques, mais qu’elles sont de Jansénius et dans Jansénius, et que Jansénius n’a jamais su ce que c’étoit que la véritable Grâce de Jésus-Christ. » M. Desprez lui répondit : « Je ne sais que vous dire à cela, mais il ne laisse pas d’acheter et de faire acheter de nos livres à des gens de sa paroisse. »

En définitive, il était impossible de se séparer de ses amis avec moins de bruit et d’éclat que ne fit M. Du Hamel. On peut dire qu’à partir de ce moment il se brisa et s’anéantit devant Dieu :

    venir de son exil à Paris. » On ne saurait parler en termes plus ménagés et plus couverts de la faute d’un ami.