Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
173
LIVRE PREMIER.

il est blâmé, et Polyeucte n’obtient pas des censeurs une exception expresse ; il n’est pas reconnu d’eux à ce signe de Grâce qu’il porte au front et qui le devait faire adopter[1]Il paraîtrait même, d’après un passage de la préface de Théodore, que Corneille s’était dès lors trouvé atteint de quelques censures, parties du côté, dit-il, de ceux qui s’appuient en cette matière de l’autorité de saint Augustin, c’est-à-dire très probablement du côté janséniste. Il s’en montrait blessé, moins, au reste, par rapport à lui que dans la haute idée morale qu’il se faisait du théâtre, et il se proposait de répondre. Du côté des Jésuites, quoique Bourdaloue se soit montré ensuite bien sévère, plusieurs autres, et des amis de Corneille, l’étaient moins ; le Père de La Rue, qui, jeune, méritait son amitié, composa, dit-on, l’Andrienne, qui fut représentée sous le couvert de Baron. Corneille, à cet endroit du théâtre, devait donc être plutôt pour le parti non-augustinien[2]. Nous avons voulu, par cette dernière remar-

  1. Le prince de Conti (Traité de la Comédie) a écrit en rigoriste qui se châtiait d'avoir trop aimé Molière : «La seconde chose qu’ils objectent est qu’il y a des comédies saintes qui ne laissent pas d’être belles, et sur cela ou ne manque pas de citer Polyeucte, car il serait difficile d’en citer beaucoup d’autres. Mais, en vérité, y a-t-il rien de plus sec et de moins agréable que ce qui est de saint dans cet ouvrage ? Y a-t-il personne qui ne soit mille fois plus touché de l’affliction de Sévère lorsqu’il trouve Pauline mariée que du martyre de Polyeucte ?» Voltaire a dit la même chose en vers badins ; mais, pour le prince de Conti, c’était faire bon marché de ce qui n’est pas si sec ni si rebutant, quoiqu’il lui plaise de le croire.
  2. On a mieux qu’un simple soupçon : on trouve dans un passage de sa tragédie Oedipe (1659) une allusion non douteuse aux querelles de la Grâce. C’est lorsque Thésée, répondant à Jocaste qui proclame la nécessité et l’infaillibilité des oracles, proteste et s’écrie :

    Quoi ? la nécessité des vertus et des vices
    D’un astre impérieux doit suivre les caprices,
    Et Delphes, malgré nous, conduit nos actions
    Au plus bizarre effet de ses prédictions ?