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PORT-ROYAL.

elle semblerait vouloir s’anéantir Voilà ce qui ressort à cet endroit de l’effrayant tableau de Michel-Ange, où toutes les trompettes semblent sonner ce verset du Dies irae : Quantus tremor est futurus !… Ce n’est pas là la Vierge de Raphaël et surtout des pieux maîtres antérieurs, non plus que celle de saint François de Sales. Sans prétendre que ce soit celle de Saint-Cyran, sa doctrine redoutable y conduirait : la prédestination tue l'intercession[1]

Comme M. de Saint-Cyran (et celui-ci lui en savait gré), saint François de Sales avance que l’amour de Dieu est nécessaire à l’entière pénitence, que la pénitence sans l’amour est incomplète ; — oui, mais il le dit plus doucement. Il dit qu’elle est incomplète, et non pas nulle ; il admet qu’elle achemine. Il n’effraie ni ne consterne en recommandant l’amour, au rebours des Jansénistes, qui le commandent avec terreur. En parlant d’Éternité, il ne met pas comme eux le marché à la main ; il ne présente pas toujours dans la même phrase cette redoutable alternative : Amour OU damnation. On a dit de la devise de certains révolutionnaires qu’elle revenait à ceci : Sois mon frère, ou je te tue. Saint François de Sales ne tombe pas le moins du monde dans cette sorte de contradiction. Le mot d’amour dans sa bouche est accompagné de toutes les douceurs : de là et de mille autres raisons encore, son grand succès parmi le sexe.

Dans la conduite des personnes du monde et des femmes particulièrement, saint François était facile : on a remarqué qu’il n’interdit pas absolument le bal à sa

  1. M. de Saint-Cyran a écrit une Vie mystique de la Sainte-Vierge, pleine de considérations subtilement dévotes à la Mère de Dieu ; mais cela ne détruit pas l’induction générale que je tire sur le caractère de cette dévotion à Port-Royal. On verra d’ailleurs l’idée qu’il se faisait de la grandeur terrible de la Vierge, dans ses conseils à la sœur Marie-Claire : là encore la crainte.