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LIVRE PREMIER.

À saint François de Sales peut se rattacher toute une école contemporaine d’écrivains mystiques fleuris, entièrement métaphoriques et allégoriques. Je ne dis pas qu’il les ait fait naître ; il les a sans doute encouragés. Lui-même il relève d’une grande série antérieure de mystiques plus ou moins semblables, qui, par-delà Gerson, et jusqu’à la cime du Moyen-Âge, va se concentrer et s’épanouir avec gloire dans les noms de saint Bonaventure, de Richard et Hugues de Saint–Victor. Mais on peut dire que par lui le genre (déjà à sa décadence) a fait avènement avec éclat dans la langue et la littérature française : M. Hamon dans Port-Royal le continuera. C’est, à l’époque catholique, quelque chose d’analogue pour la fleur et l’épanouissement à ce que sera plus tard le pittoresque et le descriptif. Seulement ce dernier

    de La Houssaye, un peu du même bord, le loue aussi : « Il auroit prêché trois heures que l’on ne s’y seroit jamais ennuyé. Les moines disent qu’il est…, tous les autres croient qu’il est sauvé, parce qu’il avoit toutes les vertus qui forment un homme de bien et un bon évêque. » Le témoignage naïf de Camus vient assez à l’appui des précédents, quand il nous dit (lettres inédites) « La semaine du dimanche gras je ne prêchai que six fois, la suivante que quatre, celle-ci que cinq : c’est ainsi que se passe le Carême, confirmant çà et là une fois ou deux la semaine… Nous ferons ce que nous pourrons jusqu’à ce que les jambes nous faillent. » Voilà certainement des vertus. Pourtant les éloges de ces quelques honnêtes gens, plus ou moins orthodoxes, furent bien compensés par les injures qu’essuya le bon Camus du côté religieux : les inculpations contre lui devinrent même un système complet d’accusation, et sa liaison avec Port-Royal en fit les frais. Dans la Réalité du Projet de Bourg-Fontaine par le Père Sauvage, jésuite, Camus est formellement dénoncé pour avoir assisté à une conférence secrète qui se serait tenue en 1621 entre Saint-Cyran, Jansénius et quelques autres, dans le but de fonder le déisme en France ; on se sert même de son roman d’Alexis pour prouver qu’il a dû faire le voyage de Bourg-Fontaine à cette date. La façon dont Port-Royal jugeait l’excellent Camus, par la bouche de la mère Angélique et de la sœur Anne-Eugénie, montre assez que M. de Saint-Cyran, l’homme de discrétion, ne put, dans aucun cas, fonder sur lui