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PORT-ROYAL.

commettre de très-grandes fautes et infidélités, dont j’avois très souvent des remords de conscience qui me mettoient en d’extrêmes angoisses. Je me reprenois, et incontinent je retournois dans mes langueurs. Je craignois donc ce qu’en effet j’aimois et désirois, qui étoit la forte, sainte, droite et éclairée conduite de ce serviteur de Dieu. » L’homme était trouvé, duquel la force d’esprit dans la vérité allait accabler le sien ; une dernière révolte muette s’essayait encore. Repassant dans un unique coup d’œil tous ses actes et ses sentiments, il lui semblait que c’était une montagne à transporter devant lui : « S’il m’eût été possible de les lui faire voir, comme je les voyois, sans les dire, je me fusse estimée trop heureuse : mais la parole m’étoit interdite, et il me paroissoit impossible de prononcer ce que je voyois avec tant de peine. » Dans un premier entretien de deux heures elle se tint à expliquer ses dispositions générales et à lui protester de son désir de lui obéir ; lui, selon sa méthode de laisser l’Esprit agir, il attendait :

« Peu de jours après il revint, et je crois qu’il m’obtint par ses prières la grâce de surmonter mon extrême répugnance à me confesser, l’ayant fait alors sans grande peine (août 1635). Je demeurai si satisfaite et si contente, qu’il me sembloit être une autre créature ; et quoique Dieu me fit sentir de la douleur de mes péchés, je puis dire n’avoir jamais eu tant de véritable et même de si sensible consolation en toute ma vie, et que jamais je n’avois eu tant de plaisir à me divertir et à rire que j’en avois alors à pleurer… Toutes nos sœurs, à la réserve de deux, étoient en la même disposition de pénitence et de joie[1]. »

La maison du Saint-Sacrement se trouvait donc d’un seul coup régénérée ; aux Offices dans le silence, par des regards, et à la Conférence par des discours lorsque

  1. Mémoires pour servir, etc., tome I, p. 347.