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LIVRE DEUXIÈME.

aux affaires du temps, à tel ou tel triomphe d’opinions, et qui cadrerait avec le système ; en un mot, aucune politique liée avec la religion. Le monde d’une part, et les affaires qui s’y agitent, grand abîme de perdition ; de l’autre, l’âme humaine, une âme particulière à guérir et à sauver, sans s’inquiéter de ce qu’elle paraîtra et fera par rapport aux yeux d’ici-bas. Saint-Cyran dirige, Aurélius a cessé de controverser. Le Nouveau Testament et Jésus-Christ, voilà toute son histoire ; à partir de Jésus-Christ et des premiers Pères et Docteurs, que lui importe le plus ou moins d’aberration, sinon pour déplorer en secret ? Si quelques mots lui en échappent près de ceux qu’il voudrait voir docteurs, et dont c’est le rôle, il n’en touche jamais rien dans le gouvernement direct et secret des âmes.

III° Nulle distraction vers la nature. Il est des intelligences aimables et courantes qui, tout en montant, s’y posent comme sur des fleurs : M. de Saint-Cyran n’a point de fenêtre de ce côté ; il n’y puise qu’à peine quelques comparaisons, et alors c’est seulement aux choses les plus apparentes qu’il les emprunte, comme le soleil, l’air ; mais jamais il ne va au détail et ne semble l’avoir regardé. Il lisait droit à l’âme et ne prenait qu’en elle ses expressions et ses images, ou dans la Bible encore et dans ses figures. Son genre d’imagination (et il n’en manquait pas) était ainsi tout appliqué au dedans et ne se réfléchissait qu’au livre unique ; il avait même la tournure d’esprit assez symbolique et apocalyptique en ce sens.

On pourrait pousser encore cette énumération des traits qui le déterminent ; par tout ce qu’il n’avait pas, autant que par ce qu’il avait, M. de Saint-Cyran se trouvait posé comme le grand médecin des âmes ; elles le sentaient bien, le devinaient, et, comme il demeurait calme, c’était à elles bientôt de faire violence jusqu’à lui. Avant d’exposer ces merveilleux exemples de M. Le