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LIVRE DEUXIÈME.

Son fils aîné était devenu célèbre fort jeune. Dès l'âge de vingt et un ans, il commença de plaider à l’applaudissement universel. Son mérite lui avait obtenu un brevet de Conseiller d’État avec la pension, à l’âge de vingt-huit ans. M. Séguier, Chancelier de France, à qui il le dut, le distinguant entre tous les autres du barreau, l’avait chargé, à sa réception comme Chancelier, de faire les trois harangues de présentation, tant au Parlement qu’au Grand-Conseil et à la Cour des Aides, harangues qui charmèrent d'autant plus, est-il dit, qu’étant toutes sur un même sujet, elles étaient toutes différentes. Le Chancelier lui offrit peu après la charge d’avocat-général au


    une dévotion de Jansénisme. On dit qu’elle s’irrita beaucoup en vieillissant de voir ses immenses biens déjà ouvertement convoités par trois Couronnes prétendantes. Elle eût eu, à coup sûr, une vieillesse moins aigrie, si elle eût obéi, dès les jours de sa jeunesse, au conseil de madame Le Maître, qui lui disait :
    «La profession de Chrétienne, Mademoiselle, vous oblige, puisque Dieu vous a donné du bien, de prendre les soins nécessaires pour qu’il soit administré à bonne fin. Je sais que vous avez des gens de bien dans votre Conseil ; mais je sais aussi que ce n’est pas à eux, mais à vous qu’il a donné ce bien, et que ce sera à vous qu’il en demandera compte. Vous devez donc, Mademoiselle, aussitôt que vos partages seront faits, vous faire donner un plan de tous vos villages pour en savoir toutes les maisons et tout ce qui en dépend, afin de connoitre l’état de l’église, du presbytère et du curé ; et, si vous êtes patronne, prendre conseil des gens de piété et de suffisance pour y mettre de bons pasteurs ; prendre garde si le revenu de la cure est suffisant ; et, s’il ne l’est pas, y contribuer, afin que le curé ait de quoi soutenir le fardeau de la cure qui est assez grand…»
    «Vous ferez, s’il vous plaît, faire un état de tous les habitants, de leurs qualités, de leurs moyens et leur prudhomie, comme aussi un état des pauvres personnes qui, par l’âge ou les maladies, sont dans l’impuissance de gagner leur vie, afin de les nourrir jusqu’à leur mort ; des pauvres enfants laissés orphelins de père et de mère, pour en avoir le même soin jusqu’à ce qu’ils soient en âge de gagner leur vie ; et quant à ce qu’il y a de pauvres outre cela, qui ne peuvent pas gagner leur vie tout le long de l’année, ou que les maladies réduisent à l’aumône, qu’il y ait un fonds pour subvenir à leurs nécessités. Il faut qu’au premier bail qui sera fait, tout cela soit réglé… Vous tâcherez d’avoir dans la province la connoissance de quelque gentilhomme de piété et d’esprit qui vous informera de tout ce qui se passe, et principalement de la manière dont vos receveurs traiteront vos sujets.»

    Ainsi conseillait et prescrivait presque la mourante ; mais tout porte à croire qu’elle ne fut que peu entendue.