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PORT-ROYAL.

Parlement de Metz ; M. Le Maître refusa. Il était décidément le plus célèbre avocat dont on eût mémoire, surpassant les souvenirs qu’avaient laissés son grand père Arnauld et son bisaïeul Marion. Les jours qu’il plaidait, les prédicateurs, par prudence et de peur de prêcher dans le désert, s’arrangeaient pour ne point monter en chaire et allaient l’entendre. La Grand’Chambre était trop étroite pour contenir tous ses auditeurs.

On a ces Plaidoyers de M.|Le}} Maître, imprimés, depuis sa conversion, par les soins d’un ami, M. Issali, et revus par le pénitent lui-même ; ils répondent peu, il faut l’avouer, à tant de louanges. Toute la partie de l’orateur actuel et vivant, de l'acteur, s’en est allée. Le style sans doute paraît plus ferme, moins prolixe que dans les plaidoyers du seizième siècle et dans ce que nous avons vu de M. Arnauld ; mais, en tenant compte des progrès de la langue, c’est toujours le même mauvais goût, l’emphase, une véhémence sans vraie chaleur, des rapprochements d’érudition sans vraie finesse et sans esprit D’Ablancourt écrivant à Patru en fait quelque remarque en homme qui sent le défaut[1]. Daguesseau, dans la quatrième Instruction à son fils, lui recommande quelques-uns des plaidoyers de Le Maître, où l’on trouve des traits, dit-il, qui font regretter que son éloquence n’ait pas eu la hardiesse de marcher seule et sans ce cortège nombreux d’orateurs, d’historiens, de Pères de l’Église,

  1. « … Cela m’apprend d’où venoit le défaut de M. Le Maître en ce plaidoyer si célèbre : c’est manque de chaleur et d’esprit bien subtils. On ne sauroit fondre la matière ; à cause de cela, il se faut contenter de la soudre, et il n’y a rien de si vilain que quand cette soudure paroit…» (Lettre de D’Ablancourt à Patru, Œuvres de ce dernier, tome II, p 548.) — D’Ablancourt, qui savait son Xénophon et qui était, à sa manière, un maître en atticisme, pouvait comparer dans sa pensée tel plaidoyer de M. Le Maître avec tel plaidoyer de Lysias (par exemple, l'Apologie sur le meurtre d’Ératostliènes), et il sentait la différence !