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PORT-ROYAL.

de M. de Saint-Cyran, il écrivit à M. le Chancelier cette belle lettre, datée de novembre ou décembre 1637 :


«Monseigneur,

«Dieu m’ayant touché depuis quelques mois et fait résoudre à changer de vie, j’ai cru que je manquerois au respect que je vous dois, et que je serois coupable d’ingratitude, si, après avoir reçu de vous tant de faveurs extraordinaires, j’exécutois une résolution de telle importance sans vous rendre compte de mon changement. Je quitte, Monseigneur, non seulement ma profession, que vous m’aviez rendue très-honorable et très-avantageuse, mais aussi tout ce que je pouvois espérer ou désirer dans le monde ; et je me retire dans une solitude pour faire pénitence et pour servir Dieu le reste de mes jours, après avoir employé dix ans à servir les hommes.

«Je ne crois pas. Monseigneur, être obligé de me justifier de cette action, puisqu’elle est bonne en soi, et nécessaire à un pécheur tel que je suis ; mais je pense qu’afin de vous éclaircir entièrement sur tous les bruits qui pourroient courir de moi, je dois vous découvrir mes plus secrètes intentions, et vous dire que je renonce aussi absolument aux charges ecclésiastiques qu’aux civiles ; que je ne veux pas seulement changer d’ambition, mais n’en avoir plus du tout ; que je suis encore plus éloigné de prendre les Ordres de Prêtrise et de recevoir des Bénéfices que de reprendre la condition que j’ai quittée ; et que je me tiendrois indigne de la miséricorde de Dieu, si, après tant d’infidélités que j’ai commises contre lui, j’imitois un sujet rebelle, qui, au lieu de fléchir son prince par ses soumissions et ses larmes, seroit assez présomptueux pour vouloir s’élever de lui-même aux premières charges du royaume.

«Je sais bien. Monseigneur, que dans le cours du siècle où nous sommes, on croira me traiter avec faveur que de m’accuser seulement d’être scrupuleux : mais j’espère que ce qui paroitra une folie devant les hommes, ne le sera pas devant Dieu ; et que ce me sera une consolation à la mort d’avoir suivi les règles les plus pures de l’Église et la pratique de tant de siècles.

«Que si cette pensée me vient de ce que j’ai moins de lu-