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PORT-ROYAL.

cœur du jeune Lancelot. Vers le même temps, le principal du Collège des Grassins, M. Coqueret, ne lui pardonnait pas non plus d’avoir pris sous sa direction le jeune M. Le Pelletier Des Touches qui sortait de ce Collège[1]. M. Froger et M. Coqueret, c’étaient deux bonnets de Sorbonne contre lui. Vincent de Paul lui en voulut peut-être un peu de s’être acquis M. Singlin.

Lancelot n’avait pas encore vu M. Le Maître et ne savait même pas qu’il fût alors sous la direction de M. de Saint-Cyran. Celui-ci, une fois seulement, lui avait dit en entrant à Port-Royal : «N’avez-vous jamais ouï parler de M. Le Maître ?» Lancelot répondit qu’il avait entendu parler avec admiration des harangues prononcées deux ans auparavant à la réception de M. le Chancelier. M. de Saint-Cyran ajouta : «C’est l’homme le plus éloquent qui ait été depuis plus de cent ans dans le

  1. M. Le Pelletier Des Touches, qu’on aura plus d’une occasion de nommer, fut un des plus anciens, des plus sincères et des plus persistants disciples de cet esprit du premier Port-Royal. Il eut de bonne heure une très grande fortune qui le rendait indépendant. Encore étudiant en philosophie sous M. Guillebert, il connut par lui M. de Saint-Cyran, s’affectionna au saint directeur, en fut aimé et lui servit même de secrétaire au sortir de sa prison. À la mort de M. de Saint-Cyran, il se donna à son neveu, M. de Barcos, le suivit à son abbaye, et y pratiqua la pénitence sans se lier par aucun vœu. À la mort de M. de Barcos, il revint à Paris s’ensevelir dans l’oubli et dans la prière ; il ne mourut qu’en 1703, âgé de quatre-vingt et un ans. Quelle vie plus entière et plus unie ! Il était de ces amis comme Port-Royal en eut tant, efficaces et cachés : une source invisible de dons. Ils montèrent en tout jusqu’à deux millions, à ce qu’on assure. Il donna, en une seule fois, à Port-Royal quatre-vingt mille livres pour recevoir à perpétuité des filles gratuitement. Un jour qu’il avait envoyé deux mille écus à M. de Caulet, évêque de Pamiers, dont les revenus se trouvaient saisis à cause de l’affaire de la Régale, il fut dénoncé à Louis XIV, qui répondit : « Il ne sera pas dit que j’aie mis à la Bastille quelqu’un pour avoir donné l’aumône.» Le grand roi était en belle humeur d’équité ce jour-là.