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LIVRE DEUXIÈME.

l’y vint chercher. Après la mort de M. de Barcos, il fut exilé de l’abbaye sous accusation de Jansénisme, et relégué à Quimperlé, en Basse-Bretagne. Il y continua sa vie studieuse et austère à l’abbaye de Sainte-Croix. En 1689, il eut l’honneur, un soir, d’y souper avec le roi d’Angleterre détrôné, qui passait par là et allait tenter un débarquement en Irlande. On l’avait mis à table tout à côté du roi, probablement comme le plus en renom et le plus façonné des religieux. Singulière rencontre, et dont on jasa beaucoup dans le Jansénisme d’alors : le frère Claude et le roi Jacques, deux exilés ! Lancelot mourut en saint, le 15 avril 1695, âgé de près de quatre-vingts ans.

M. Le Maître s’est dessiné à nos yeux comme le chef des pénitents et des solitaires : Lancelot n’a rien de tel ; il ne domine personne de la tête : c’est une de ces natures avant tout secondes, modestes, saintement famulaires qui passent volontiers dans la vie en s’inclinant. Il nous offre un excellent portrait et la perfection même de ces sortes de natures. Comme Nicole, comme au


    nacal, qui amena de grandes discussions au sein de l’Ordre. Dans une Dissertation sur l’Hémine de vin, mesure de chaque jour permise par saint Benoît à ses religieux, Lancelot, consulté par un de ses amis, l’abbé Le Roi, réduisit cette hémine à un demi-setier : cela parut trop peu au Père Mabillon, qui, si désintéressé qu’il fût dans la question, porta l’hémine à un setier. Dans le Moyen-Âge, on l’avait poussée jusqu’à deux pintes ; les moines de Saint-Bénigne de Dijon plaidaient contre leur abbé pour rester en possession de ces grandes pintes, et, à sa mort, pour se venger de lui, ils le représentèrent sur son tombeau avec des oreilles d’âne, en y joignant cette Épitaphe explicative :{{lang|la|

     Auriculas asini merito fert improbus Abbas,
    Quod monachis pintas jusserit esse breves.}}

    Ici, le sel piquant de cette débauche de controverse autour du setier et du demi-setier, c’est que les plus relâchés en théorie étaient tout aussi sobres que le bon Lancelot, et Dom Martenne, qui finalement le combattit, ne buvait pas de vin.