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LIVRE DEUXIÈME.

ristie, et elle me semble même beaucoup plus terrible, car c’est par elle qu’on engendre et qu’on ressuscite les âmes à Dieu, au lieu qu’on ne fait que les nourrir par l’Eucharistie ou, pour mieux dire, guérir… Et moi j’aimerois mieux dire cent messes que faire une prédication. C’est une solitude que l’autel, et la Chaire est une assemblée publique où le danger d’offenser le Maître est plus grand.»

Il prescrivait au prêtre le retranchement intérieur absolu et le silence parfait comme la meilleure préparation à cette parole publique et distribuée : «Il n’y faut aller qu’après avoir travaillé longtemps à la mortification de son esprit et de cette démangeaison qua tout le monde de savoir beaucoup, et de belles choses, qui est la plus grande tentation qui nous reste du péché d’Adam[1]

Lorsque M. Singlin, comme contraint par lui à la direction et à l’exercice public, voulait du moins se dérober à la Prédication, et alléguait les périls de ce haut emploi, le chatouillement sensible de la louange ou ses scrupules de peur du scandale, M. de Saint-Cyran lui disait admirablement : «Si j’avois quelque occasion de prêcher, je me présenterois devant Dieu pour lui demander les pensées sur le sujet que j’aurois pris ; et puis simplement je les mettrois en chefs par écrit, et, après les avoir d’heure en heure arrosées par de fréquentes oraisons, je m’en irois prêcher, sans la moindre réflexion d’esprit, ni sur moi ni sur les autres. Après ma prédication, je me retirerois dans ma chambre pour m’agenouiller devant Dieu, et ne reverrois personne, pour le moins de ceux qui auroient assisté à mon sermon ; et, si l’on m’en parloit, je témoignerois ne l’agréer point en

  1. Et c’est cette démangeaison même qui nous pousse, vous peut-être qui lisez et moi qui écris, à savoir si à fond Saint-Cyran sans l’imiter.