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PORT-ROYAL.

qu’il arriva un moment où les beaux-esprits du second Port-Royal s’émancipèrent de M. Singlin et se retournèrent même jusqu’à un certain point contre lui. Si son amour-propre eût seul souffert, il s’en fût consolé ou plutôt réjoui : les humiliations lui étaient chères ; mais la charité, de toutes parts, saignait. Il ne put résister à ces épreuves de division intérieure, les plus sensibles de toutes ; et ses angoisses, jointes aux austérités excessives du Carême de 1664, le menèrent à une défaillance qui fut mortelle (17 avril) ; il n’avait que cinquante-sept ans. On a déjà vu Lancelot toucher et déplorer, bien que timidement, cette déviation de l’esprit primitif du Port-Royal de M. de Saint-Cyran ; je crois que M. Singlin, dans les dernières années, jugea de même[1]. Je juge comme eux, autant que j’en ai le droit, et plus explicitement encore. Il me semble qu’à Port-Royal où de si grands hommes se succédèrent, M. de Saint-Cyran ne fut jamais remplacé. Il aurait,

    elle n’avait pas été encadrée comme elle l’était, eût été d’avis, à un certain moment, de suivre ce parti mitigé, a exprimé d’ailleurs le deuil que causa à la Communauté la mort de M. Singlin, de ce guide incomparable pour la conduite des âmes, en des termes pleins de componction et de douleur. Dans une lettre à madame de Foix, coadjutrice de Saintes (7 mai 1664), en lui envoyant une petite relique du mort : « Ses plus précieuses reliques, disait-elle, sont celles de son esprit, et la pratique des instructions qu’il nous a données durant vingt-huit ans, dont il a été plus de vingt le directeur unique, la lumière, le soutien et la consolation de notre monastère, comme nous espérons qu’il le sera toujours devant Dieu… » Mais la mère Agnès était elle-même primée dans les dernières années par sa nièce, la sœur Angélique de Saint-Jean, le grand caractère de la maison depuis que la première Angélique n’était plus.

  1. M. Singlin était pour qu’on signât, Lancelot était pour qu’on ne signât pas, mais tous deux en silence et sans mot dire. Arnauld était pour la distinction du droit et du fait, et pour qu’on discutât. — On peut voir sa longue lettre à M. Singlin, écrite du 13 au 22 septembre 1663, qui transporte au plus ardu de la contestation.