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LIVRE DEUXIÈME.

ils attendirent jusqu’à six heures du matin pour se faire ouvrir. M. de Saint-Cyran, déjà éveillé, lisait saint Augustin avec son neveu M. de Barcos, et, rencontrant un passage qui concernait la contrition, ce grand point en litige, il disait : « Voilà pour nous, voilà de quoi nous défendre si l’on nous attaque. » Là-dessus, le Chevalier du guet entra poliment dans sa chambre et lui signifia l’ordre du roi : « Allons, Monsieur, répondit M. de Saint-Cyran en le prenant agréablement par la main, allons où le roi me commande d’aller ; je n’ai point de plus grande joie que lorsqu’il se présente des occasions d’obéir. » Et n’ayant pris que le temps de changer sa robe de chambre pour sa soutane, il dit à son neveu : « Monsieur de Barcos, voulez-vous venir ? » Mais le Chevalier dit qu’il n’avait ordre que pour M. de Saint-Cyran.

En passant dans le parc de Vincennes, le carrosse rencontra, par un à-propos singulier, celui de M. d’Andilly qui allait à Pomponne. M. d’Andilly était venu la veille dire adieu à M. de Saint-Cyran, et il ne put en croire ses yeux en le retrouvant là si loin et si matin. Comme les gardes avaient retourné leurs casaques, il ne sut d’abord ce que c’était que cette escorte, et lui cria gaiement : « Où allez-vous donc mener tous ces gens-ci ? » — « Eh ! ce sont eux qui me mènent, » répondit le prisonnier ; et, après une explication brève, il demanda à M. d’Andilly s’il n’avait pas un livre, n’en ayant pris lui-même aucun dans la précipitation du départ. M. d’Andilly avait justement sur lui les Confessions de saint Augustin et les lui donna. Après s’être tristement entretenus un moment et embrassés (ce que leur permit le Chevalier du guet, ami de M. d’Andilly, lequel, comme on sait, avait des amis partout et était l’ami universel), ils se séparèrent, et M. de Saint-Cyran, arrivé au château, fut mis au