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LIVRE DEUXIÈME.

livre sur la Virginité, traduit et surtout commenté de saint Augustin par le Père Seguenot de l’Oratoire, et dont on commençait à faire bruit, s’échappa à dire tout haut en soupirant, à propos de quelques passages sur l’amour de Dieu dans la contrition : «Mon bon-homme (le Père Caussin) me le disait bien aussi!» Ce soupir du roi vers son bon-homme qu’une fois disparu on croyait déjà enterré dans son cœur, fut reporté au Cardinal qui, méfiant et soupçonneux qu’il était, rechercha quel esprit, quel souffle dangereux suscitait de pareils retours. Il hâta, d’une part, la condamnation du livre sur la Virginité déjà déféré en Sorbonne ; de l’autre, il fit venir le Père de Condren, Général de l’Oratoire, et le pressa de questions sur le Père Seguenot, alors à Saumur : si ce Père était seul l’auteur de son livre ? quelles étaient ses liaisons, ses accointances de doctrines et de personnes ? Le Père de Condren, pour couvrir quelqu’un de sa Congrégation, et peut-être aussi pour aller au-devant de quelque pensée mal dissimulée du Cardinal, eut la faiblesse de nommer M. de Saint-Cyran, qu’il supposait, disait-il, devoir connaître le Père Seguenot par l’intermédiaire d’un ami commun (le Père Maignard, également de l’Oratoire). Sur cette conjecture toute chimérique, il n’hésita pas à lui imputer la suggestion d’un livre qui, à part un ou deux hasards de rencontre, dans son ensemble bizarre et semi-gnostique, répugnait plus que tout à la doctrine mâle et chaste de Port-Royal[1]. Tel fut pourtant le prétexte immédiat et

  1. M. Floriot demandait un jour à M. de Saint-Cyran d’où venait cet éloignement du Père de Condren après leur ancienne liaison : «Cela vient, répondit l’abbé, de ce que je lui ai demandé en quelle conscience il peut donner l’absolution à Monsieur qui passe sa vie dans des habitudes criminelles, dans des occasions prochaines, et qui profane les sacrements autant de fois qu’il les reçoit ; et aussi de ce que j’ai soutenu que le mariage de Monsieur étoit indissoluble et lui ai dit que je ne comprenois