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LIVRE DEUXIÈME.

jamais de lui en envoyer tous les ans quelque corbeille ; le cardinal Mazarin les appelait en riant les fruits bénits. Mais, malgré les espaliers de D’Andilly, qui fit un bon livre sur l’art de les cultiver, malgré le tour pastoral que sut donner à ces sortes de travaux son imagination toujours galante et riante jusque dans sa piété, il faut convenir que les solitaires de Port-Royal, les plus relevés par la naissance ou même par l’esprit, s’assujettirent à bien des devoirs manuels des plus rebutants et des plus bas, tout ainsi que faisaient, à l’intérieur du cloître, de nobles postulantes, filles d’Aragon ou de Lorraine ; et je ne puis m’empêcher de reconnaître qu’il y a quelque chose de répugnant en pure perte dans ces sortes d’emplois à dessein si grossiers, surtout dans les récits détaillés et parfaitement indélicats qui nous en sont faits, et que sans infidélité je supprime, pour m’attacher tout à côté à tant d’autres traits aussi charmants que graves et plus dignement austères.

Lancelot, après avoir quitté la Ferté-Milon et être allé quelque temps à l’abbaye de Saint-Cyran, vint rejoindre ces Messieurs au désert, à Port-Royal des Champs ; mais il en fut rappelé, un peu contre son cœur, à Port-Royal de Paris, pour prendre en main le soin des deux petits messieurs Bignon dont M. de Saint-Cyran continuait d’être occupé, du fond de sa prison, d’une manière touchante, et non pas en considération de leur père seulement, mais pour eux-mêmes ; car sa maxime était de n’abandonner jamais une charité une fois commencée. Et quelle plus grande charité qu’une éducation chrétienne ! Ses soucis les plus délicats des jeunes âmes, ses plus tendres pensées sur l’enfance, fleurirent pour lui, on peut le dire, sous les barreaux de Vincennes, comme ces rares fleurs que le prisonnier cultive sur sa fenêtre, comme ces œillets qu’y arrosera, dix ans plus tard, le grand Condé.