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APPENDICE.

pliés, de fins et flatteurs encouragements, de légers avis enveloppés d’éloges. Rien n’était oublié de ce qui pouvait plaire et mettre de la douceur dans les moindres choses. Comment ne pas se rendre aux marques d’un intérêt si suivi, si motivé ?


SUR M. LE MAITRE.


(Se rapporte à la page 482.)


Par opposition à la façon légère et cavalière dont le Père Rapin a jugé la pénitence de M. Le Maître, je me plais à mettre ici une belle page chrétienne de M. Feydeau, un des amis de Port-Royal, un ami secondaire, mais à qui la profondeur des convictions a quelquefois inspiré d’heureux accents. Adressant aux religieuses de Port-Royal, alors persécutées, une lettre de consolation datée de son propre lieu d’exil en 1680, M. Feydeau, dont les souvenirs se reportaient aux premiers temps de l’abbaye restaurée et aux hommes incomparables qui avaient répondu à l’appel et au vœu de M. de Saint-Cyran, disait dans un sentiment énergique de vérité :

« Le premier (M. Le Maître) quitta la gloire du barreau où jamais personne ne fut plus admiré par son esprit et par son éloquence ; mais cherchant une autre gloire, il vint enterrer ses talents au pied de vos rochers et vint, dans vos grottes, se cacher aux yeux des hommes, afin de n’être connu que de Dieu seul. Il m’a dit qu’il ne faisoit que gémir et pleurer quand il se voyoit si excessivement loué, et qu’enfin un jour, au sortir d’une action où il avoit attiré l’admiration de tout le Palais, il se vint jeter aux pieds de M. de Saint-Cyran, le conjurant de le tirer du péril où il se voyoit par tant d’applaudissements qui ne faisoient que flatter son amour-propre et envenimer l’orgueil qui nous est si naturel et néanmoins si préjudiciable et si dangereux.

« Ce grand directeur ne lui permit pas de changer d’ambition —, il la lui fit quitter tout à fait : il ne le retira pas du barreau pour le faire monter dans la chaire ; il n’en fit pas un prêtre, selon la coutume du temps, mais un pénitent selon les règles de l’Église : la solitude, le silence et les larmes furent son partage : il fut six semaines entières sans pouvoir faire autre chose que pleurer, comme il me l’a dit lui-même, et sans parler à d’autre qu’à Dieu, ou plutôt se tenant devant lui sans rien dire, son cœur parlant assez par ses larmes.

« Ce grain de froment, tombant dans votre terre et venant à y mourir (mûrir ?), y porta beaucoup de fruit. On commença à voir, à la lueur de l’exemple qu’il donnoit, qu’on pouvoit faire pénitence sans se faire prêtre