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APPENDICE.

gnes, avec les serviteurs de Dieu du monastère de Bethléem, qui étoient gouvernés par le prêtre Jérôme, défenseur de la Grâce contre les religieux Pélagiens, furent exposés à la cruauté de ces moines qui brûlèrent les logements du monastère, tuèrent et estropièrent diverses personnes…[1] »

Mais pendant ce temps-là, que faisaient les Jésuites, ces hommes qu’on dépeint ici sous de si odieuses couleurs, ces ennemis de la Grâce de Jésus-Christ, ces cruels persécuteurs de vierges pieuses et timides ? Le Général de leur Compagnie, qui, comme on l’a dit tant de fois, sait se faire obéir, adressait, après la publication de la Bulle d’Innocent X, une lettre circulaire aux Provinciaux de France dans laquelle, en leur parlant de la condamnation du livre et des doctrines de Jansénius, et de la joie que cette nouvelle devait causer aux religieux de la Compagnie, il ajoutait : « Mais je veux que vous recommandiez expressément à tous les nôtres de contenir l’expression de leurs sentiments dans les bornes d’une joie chrétienne, en sorte que nous ne paroissions pas le moins du monde insulter à ceux qui s’étoient montrés en ce point nos adversaires. Outre que cette conduite seroit tout à fait opposée à la modération religieuse, elle seroit peu propre à ramener les esprits à la saine doctrine, et loin de les rendre plus doux et plus traitables, elle ne feroit que les aigrir davantage[2]. »

  1. Mémoires pour servir…, tome II, page 369. — Ces entretiens fanatiques et capables d’exalter les têtes de pauvres filles cloîtrées avaient lieu du 2 au 6 juillet 1653 ; et cependant le 22 août suivant, la mère Angélique, écrivant au confesseur de la reine de Pologne et lui parlant de la soumission qu’elle et ses religieuses devaient avoir pour les décisions du Pape, ajoutait : « Je vous puis assurer que hors moi qui, par l’obligation de ma charge, suis contrainte de parler quelquefois à ceux de dehors, et par conséquent d’entendre ce que l’on dit, pas une de nos sœurs n’en a connoissance. » Comment concilier ces dernières paroles avec les entretiens que la mère Angélique avait avec ses filles (ou pour le moins devant quelques-unes de ses filles) sur la Bulle, sur ses effets et sur ses conséquences présumées ? Et ces protestations de soumission, en matière de foi, à l’Église et à son Chef, comment les concilier avec les jugements téméraires et outrageux qu’on vient d’entendre sur le chef de l’Église ?
  2. Le Père Nickel, prédécesseur du Père Oliva, écrivait cela dans sa Circulaire adressée aux Provinciaux de France après la condamnation de l'Augustinus de Jansénius ; la voici textuellement :
    « 16° junii 1653. »
    « Quod diu fuit in votis singulari Dei beneficio assecuti tandem sumus, dum Suae Sanctitati placuit de dogmatis illis statuere quorum virus multorum jam animos infecerat : habet quidem Societas nostra amplam laetandi materiam, quae prima nascentis mali initia indagavit, patefecit, protulit. At Reverentiam Vestram plurimum suis commendare velim, ut hic sensus ita intra christianae lœtitiae fines contineatur, ut aemulis nostris hac in parte insultare minime videamur. Praeterquam quod, cum istud a religiosa modestia maxime alienum est, parum esset idoneum revocandis eorum ad sanam doctrinam animis, quos non modo non conciliaret sed exulceraret magis. »