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PORT-ROYAL.

contrite pratiquée et accomplie avant la communion. En maintenant les sacrements, et précisément parce qu’on les maintenait plus parfaits et plus saints, il s’agissait de montrer combien il faut être renouvelé intérieurement déjà pour oser les aborder, et combien il est sacrilège d’y venir chercher un remède superstitieux, cérémoniel et comme mécanique, sans être déjà plus ou moins avancé dans la voie de guérison spirituelle.[1] L’autorité sur laquelle Arnauld se fondait le plus, dans les temps récents, était celle de saint Charles Borromée qui avait restauré la pénitence. Il fait de saint Charles et de saint François de Sales un beau parallèle, montrant qu’ils ont eu chacun la spécialité de don qui convenait à leurs rôles divers, saint François ayant été revêtu de douceur, d’attrait et comme d’angéliques rayons, pour ramener à la Mère-Église des enfants rebelles, et saint Charles au contraire ayant été plutôt armé au dehors de qualités incisives, souveraines, d’autorité sensible et comme de la verge de pénitence, pour convertir et contraindre à l’esprit intérieur des Catholiques semi-idolâtres et dissipés. Je veux citer un coin de

  1. Je voudrais faire bien comprendre la différence des doctrines et des pratiques, par une comparaison matérielle très exacte, et sans manquer au respect. Les directeurs faciles, qui conseillaient la communion tous les mois aux personnes mêmes qui suivaient les bals et vivaient de la vie du monde, agissaient tout à fait comme ces médecins d’alors qui permettaient à leurs clients de manger beaucoup, sauf à prendre médecine tous les mois. Le Père de Sesmaisons procédait comme M. Purgon, comme plus tard ce spirituel collègue du Père de La Chaise, M. Fagon. Arnauld et les Jansénistes avaient du sacrement une idée plus haute ; ils y voyaient autre chose qu’un remède courant, un expédient médicinal périodique, pour entretenir vaille que vaille une âme ; ils y voyaient une nourriture intègre, qu’il fallait déjà être assez sain pour supporter, le Corps et le Sang tout divins à l’usage des vivants. Je ne voudrais pas nier pourtant qu’il n’y eût de l’excès aussi dans leur point de vue et leur pratique : c’est là, je le sais, l’opinion mûrie de plusieurs Catholiques très éclairés.