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LIVRE DEUXIÈME.

ayant reçu toutes les commissions nécessaires à cet échange, avait déjà, par ordre du roi, tiré M. d’Ekenfort de Vincennes et l’avait mené coucher chez M. d’Andilly, le 16 mars 1640. Le lendemain matin, les chevaux étaient sellés dans la cour et l’on avait le pied à l’étrier pour le joyeux départ, quand deux fils de M. de Feuquières, arrivés en toute hâte, apportèrent la consternante nouvelle de la mort de leur père. « Nous demeurâmes, dit l’abbé Arnauld,[1] qui était d’épée encore et devait faire le voyage, nous demeurâmes sans parole et sans mouvement, comme des gens qui auroient été frappés de la foudre. M. d’Ekenfort lui-même en parut étonné comme nous ; quoiqu’il vit en ce cruel contre-temps la ruine de ses espérances et un grand éloignement à sa liberté dont il avoit commencé à goûter la douceur, il surmonta par grandeur d’âme sa propre douleur pour soulager celle de ses amis et s’employa à notre consolation, comme s’il n’en eût pas eu besoin pour lui-même. » On le ramena le soir à Vincennes ; c’est alors surtout qu’il dut réclamer près de M. de Saint-Cyran les seuls remèdes solides, dont il paraît que, même après sa délivrance et à la tête des armées de l’Empereur, il se ressouvint toujours.[2]

L’hiver de 1640-1641 fut célèbre à la Cour par les magnificences du Palais-Cardinal. On y donna la grande comédie de Mirame, « qui fut représentée devant le Roi et la Reine, avec des machines qui faisoient lever le soleil et la lune, et paroître la mer dans l’éloignement, chargée de vaisseaux. »[3] Quelque temps après, au même

  1. Dans ses Mémoires.
  2. On lit dans une lettre de M. de Saint-Cyran : « Je dis à ce seigneur (M. d’Ekenfort), à son retour au Bois de Vincennes, que l’Empereur le vouloit mettre en liberté, et que le premier roi du monde le vouloit aussi. — Qui l’a donc empêché ? ajoutai-je : le seul Roi qui est par-dessus eux dans le Ciel et dans le monde. »
  3. Mémoires de l’abbé de Marolles. — Ce que le curieux et naïf