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PORT-ROYAL.

si cette bouche pure et simple n’aurait pas quelque pensée particulière à lui indiquer. M. Charpentier, l’étant venu voir avant sa détention, lui avait fait un touchant récit de l’état de la religion à Angers, à Saumur, et lui avait dès lors donné l’idée d’écrire contre le Calvinisme, dont les ministres gagnaient de plus en plus en cette partie du royaume. Il renouvela cette même pensée à Lancelot : M. de Saint-Cyran se résolut à la suivre et à pousser vigoureusement l’ouvrage ébauché, que la prison seule avait interrompu ; il ne demandait que deux ans pour le mener à fin : « Après quoi nous devions, dit Lancelot, aller tous à son abbaye, où il avoit dessein de se faire simple religieux avec nous, en se démettant de sa charge d’abbé entre les mains de son neveu. »

M. Molé, de tout temps, avait aussi témoigné un intérêt très vif pour l’entreprise et la confection de cet ouvrage : il n’avait pas eu d’abord autant de crédit que le bonhomme Charpentier pour y décider son ami ; mais, dès qu’il avait su la résolution, il s’en était réjoui, et, comme pour prendre acte, il avait aussitôt fourni de sa bourse mille écus destinés aux frais soit de recherches, soit de transcription et d’impression.[1]

  1. Cette avance généreuse eut des suites moins bonnes qu’elle n’aurait dû avoir. Quand M. de Saint-Cyran mourut, comme l’ouvrage ne se faisait pas et qu’on entra dans une tout autre voie de polémique, M. le Premier Président laissa échapper, à ce qu’il paraît, quelques mots de plainte. Ils revinrent à M. de Barcos, qui renvoya aussitôt la somme prêtée, avec toutes sortes d’expressions de charité, est-il dit, mais qui ne firent point passer la démarche. M. Molé en fut choqué, ainsi que de l’insistance particulière de M. Singlin, porteur de la somme, lequel retourna jusqu’à trois fois pour la faire reprendre. L’altération des bons rapports de M. Molé et de Port-Royal date de là. On est tout surpris de voir l’ami de M. de Saint-Cyran maltraité dorénavant dans les écrits des Jansénistes. M. de Saint-Gilles, en son Journal manuscrit, n’hésite pas à dire de lui : « M. Molé, garde-des-sceaux, grand et violent en-