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PORT-ROYAL.

roles à Lancelot, qui le visitait, furent celles d’un homme qui se sent finir. Il travaillait pourtant toujours et dictait encore le samedi soir des Pensées chrétiennes, des Points sur la mort, afin de n’en point détacher sa vue ; car sa maxime était : Stantem mori oportet, il faut qu’un Chrétien meure à l’œuvre. Le dimanche matin 11, après une nuit mauvaise, vers cinq ou six heures, il tomba en apoplexie. Il revint assez à lui, durant une ou deux heures, pour recevoir en toute connaissance les sacrements que put lui administrer, quoi qu’on en ait dit, le curé de Saint-Jacques-du-Haut-Pas.[1] Puis une nouvelle attaque l’emporta sur les onze heures. Lancelot nous a laissé les plus précis, les plus religieux détails. M. de Bascle, ce gentilhomme du Querci, ce nouveau solitaire qui était pour lors à Port-Royal de Paris, tout perclus et douloureux, apprenant le dernier soupir de M. de Saint-Cyran, vint à pied de cette maison au logis mortuaire, aidé de ses béquilles, ce qui était déjà surprenant ; mais, quand il eut baisé les pieds du défunt, il se sentit tout d’un coup si fortifié par cet attouchement qu’il jeta les béquilles mêmes, et lui, qui ne se remuait qu’à grand’peine une demi-heure auparavant, il put descendre de la chambre haute sans aucune aide ; ce mieux se soutint et dura plusieurs années. Lancelot

  1. C’était sa paroisse : il demeurait proche les Chartreux, aux environs de ce qui est aujourd’hui la rue d’Enfer. L’acharnement avec lequel les ennemis ont nié qu’il ait reçu les sacrements est curieux. Le Père Rapin (Histoire du Jansénisme) va jusqu’à prétendre, et ceux de sa robe qui se sont copiés répètent que, pour sauver l’honneur du défunt, on trompa le public par la Gazette, et qu’on gagna le gazetier en lui faisant mettre la petite note qu’on lit en effet dans le numéro du samedi suivant (n. 131). Ils y opposent, comme pièce contradictoire, une espèce d’attestation du curé même de Saint-Jacques. Malgré tout, entre le Père Rapin et les siens, écrivant par ordre, qui nient ce qu’ils n’ont pas vu, et Lancelot témoin, qui affirme, je n’hésite pas. (Voir l’Appendice.)