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LIVRE DEUXIÈME.

mença par l’utile et fit dessécher un marais qui empestait ; quoiqu’un fâcheux étang restât toujours (celui qu’a chanté Racine), le lieu fut dès lors notablement assaini. Puis vinrent les défrichements, les terrasses, les espaliers, tout un embellissement. Ces travaux coutaient cher. Le monastère en profita ; ce pauvre aîné peu favorisé, l’abbé Arnauld, en pâtit. M. d’Andilly, en se retirant, lui avait laissé de quoi subsister honnêtement ; mais cela ne dura qu’une année : «  « Son humeur plus que libérale, nous dit le fils si durement lésé, ne le quitta point dans le désert ; il eut besoin de tout ce qu’il avoit quitté pour la satisfaire, et ce fut à moi à me réduire. » Les saints ont grand’peine, même en se faisant ermites, à ne pas emporter au fond leur petit démon secret. Le marquis de Pisani, fils de madame de Rambouillet, bossu et malin comme les bossus, disait de madame de Sablé qu’elle avait beau faire, qu’elle ne chasserait point le Diable de chez elle, et qu’il s’était retranché dans la cuisine. M. d’Andilly, tout aux amitiés, surtout aux amitiés nouvelles, et qui venait d’épouser la solitude, rognait à son fils pour orner les jardins.

Du Fossé va un peu loin lorsque, concluant l’exact portrait, il semble croire que M. d’Andilly a passé ainsi durant près de trente années, sans discontinuer, une vie si peu agréable aux sens, et sans jamais prendre aucun divertissement. Et d’abord, ce genre d’existence, mi-partie d’étude et mi-partie de jardinage, n’était certainement pas trop mortifiant ; les sens reposés y trouvaient leur charme. Qu’est-ce là autre chose que le vieillard de Virgile, celui du Galèse, dans un cadre chrétien ? C’est un Mélibée d’églogue à Port-Royal, et qui se peut dire à lui-même sans ironie :

Insere nunc, Mlibaee, piros ; pone ordine vites.

Fontanes, dans sa Maison rustique, a introduit, à ce