Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
286
PORT-ROYAL.

du fer qui le taille, afin de lui faire porter des fruits dont l’abondance remplisse mes mains, et dont la douceur contente ma bouche qui donne des promesses coupables à celles que les liens du mariage ont soumises à la puissance d’un autre ! » [1]

En traduisant, j’allais dire en récoltant cette page toute savoureuse de fruits et toute bourdonnante d’abeilles, M. d’Andilly m’apparaît qui se promène, la serpe en main, le long de quelque haie du verger,

Hyblaeis apibus florem depasta salicti.

Tout ce qu’on pourrait extraire de profond, de fin et de délicieux du saint Jean Climaque, nous mènerait trop loin : c’est d’un ascétisme charmant, qui n’a de comparable que l’Imitation chez les modernes. En traduisant avec tant de grâce et de clarté cet excellent maître du cœur, d’Andilly dut aller à bien des âmes de son temps. Tout ce monde de M. de La Rochefoucauld, de madame de Sablé, de madame de La Fayette dut en être particulièrement frappé, et admirer comment l’antique abbé du Sinaï en savait presque aussi long qu’eux-mêmes sur les vertus, sur les passions, sur les replis et les ruses de l’amour de soi.[2]

Philippe de Champagne, notre peintre ordinaire, a tiré des Pères des Déserts le sujet de plusieurs grands paysages représentant les circonstances de la Vie de sainte Marie, nièce du solitaire Abraham. La Fontaine qui, s’il devait avoir quelque rapport lointain avec Port-Royal, ne pouvait y prendre que par ce côté facile et par ce livre

  1. Chapitre XXV. J’ai adouci à un seul endroit l’expression trop nue.
  2. Pour suppléer ici à l’incomplet des citations, j’ai pu, dans mon Cours de Lausanne, renvoyer sans scrupule à un livre bien connu de mes auditeurs, l’Arthur de M. Ulric Guttinguer, dans lequel on retrouve beaucoup de cette pulpe et de cette manne du livre de d’Andilly, extraite et distribuée en parcelles pour les délicats.