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PORT-ROYAL

aussi qui ira trouver Retz, alors vagabond, à Rotterdam (vers 1658), pour lui porter des paroles du parti, car il y avait parti alors. Nous entrevoyons de l’intrigue à l’horizon, mais nous n’y sommes pas encore. On en accusa longtemps les Jansénistes, avant qu’en effet ils s’en avisassent : ce M. de Saint-Gilles ne s’épargna pas pour leur faire regagner le temps perdu. Remarquons, chemin faisant, comme chaque solitaire, même après sa conversion, garde des traits distincts de son tempérament et de sa nature. Ce Vendéen ardent trouve moyen d’arriver, par le désert, à tout l’emploi de son activité, de courir les monts et les mers, et de braver les naufrages.[1] Quand il cessa de courir, il se détruisit lui-même par ses austérités.[2]

  1. « Il pensa périr en voulant revenir (de Hollande). Il s’embarqua avec M. Des Landes, son compagnon de voyage, à un port de mer nommé La Brille, auprès de La Haye, et ils furent surpris aussitôt d’une tempête, qui dura cinq jours et cinq nuits, si violente que les matelots ne surent où ils étoient pendant tout ce temps et furent trop heureux de pouvoir retourner à La Brille, d’où M. de Saint-Gilles et son camarade prirent la route de terre, st vinrent par Cologne et le reste de l’Allemagne, parce que la guerre étoit alors en Flandre. » (Supplément au Nécrologe, in-4o, 1735, à la page 69.)
  2. Je crains tant d’être injuste envers des hommes de cœur et de vertu, et, en chargeant quelques traits plus saillants, d’en omettre d’autres, ce qui est presque inévitable dans la rapidité, qu’on me permettra encore un correctif et un témoignage. M. de Sainte-Marthe, qui assista M. de Saint-Gilles à sa mort (décembre 1668), en a fait un beau récit (Supplément, in-4o, au Nécrologe). Il convient de ces faiblesses apparentes, de ces imprudences extérieures ; mais, dit-il excellemment, M. de Saint-Gilles, au contraire de tant d’autres, portait tous ses défauts en dehors : « Je puis rendre ce témoignage à notre ami qu’il n’y avoit rien en lui de si pur que son cœur… Sa charité étoit comme un or enflammé qui le rendoit riche aux yeux de Dieu, ce qui n’empêchoit pas que cette vertu ne l’engageât à plusieurs actions extérieures, parmi lesquelles, quelque bonnes qu’elles fussent, il étoit bien difficile qu’il ne contractât quelques taches, et que, marchant dans la poussière, ses pieds au moins n’en fussent pas un peu couverts ; mais, si cette poussière effaçoit quelque chose de l’éclat de cet or, elle ne lui ôtoit rien de son prix.»