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APPENDICE.

de blesser la réputation du défunt, si elle-même ne l’avoit rendue publique par les connoissances qu’elle en avoit données à tous ses parents et amis.
« Il la vit le même jour, et sur ce qu’elle eut peine à consentir qu’il expliquât la chose aux ministres, il lui remontra que ce n’étoit point un avis qu’il lui demandoit, mais une résolution qu’il lui apprenoit. Elle fut obligée d’y donner les mains, et ensuite elle lui fit tant d’ouvertures des peines que cette affaire lui avoit causées et qu’elle lui causoit encore qu’il se crut obligé de lui parler comme il fit avec toute sorte de liberté, lui faisant entendre qu’elle n’auroit jamais de repos ni sa famille de bénédiction qu’elle n’eût pleinement exécuté la volonté de son mari. Il crut même avoir sujet de juger qu’elle en étoit comme persuadée, parce qu’elle lui témoigna nettement qu’elle ne prenoit point de confiance dans le jugement des docteurs et sembloit même vouloir demander quelque avis de tempérament pour chercher la paix qui étoit nécessaire pour le repos de sa conscience. Et pour marquer davantage la confiance qu’elle prenoit en lui, elle lui fit voir, à la prière qu’il lui en fit, un écrit qui avoit été donné à M. de Chavigny pour régler sa vie, par la lecture duquel il put très-facilement juger que ses dérèglements avoient été jusques à se voir obligé de restituer le bien d’autrui, ce qu’il fit fort considérer à cette dame. La conclusion de la conférence fut que, selon les conseils qu’il lui donnoit, elle feroit prier Dieu qu’il l’éclairât de ses lumières et lui donnât la force nécessaire pour accomplir ses devoirs.
« M. le Chancelier donna ce jour-là une favorable audience à M. de Bagnols, écouta avec attention le récit qu’il lui fit de ce qui s’étoit passé et l’assura que tous les bruits qui avoient couru de cette affaire ne lui avaient donné aucune mauvaise impression contre les personnes qui s’en étoient mêlées.
« Le 10e du même mois, il fit entendre la vérité de cette affaire à M. Mole, Garde-des-Sceaux et Premier Président, et comme ce grand magistrat lui témoigna qu’il trouvoit cette histoire étrange, il le pria de lui dire si c’étoit à l’égard de lui et de Messieurs de Port-Royal qu’il la trouvoit étrange. M. le Garde-des-Sceaux lui dit qu’à l’égard de sa personne il n’y trouvoit qu’honneur et désintéressement et ne voulut pas s’expliquer davantage à l’égard de Messieurs de Port-Royal, quoique M. de Bagnols lui ayant fait entendre qu’on ne pouvoit distinguer sa conduite de celle de ces Messieurs l’obligeât en quelque manière de parler, s’il eût eu quelque raison de faire cette distinction.
« M. de Bagnols remarqua dans cet entretien que lorsqu’il lui fit entendre que l’on avoit eu quelque pensée de lui remettre les papiers, à lui Garde-des-Sceaux, pour les faire valoir au profit des pauvres, il avoit témoigné par son geste et par quelques demi-mots qu’il ne les auroit pas refusés et qu’ayant appris que les docteurs avoient quelque pensée de faire la distribution des cent mille livres, il avoit trouvé ce procédé extraordinaire. Il lui fit même paroître que, si on lui donnoit part de cette somme pour l’Hôtel-Dieu, il ne la refuseroit pas.
« Le 13 et le 14 de ce mois se passèrent en propositions et en conférences du certificat que madame de Chavigny demandoit pour lui servir de décharge de cette somme, il se fit aussi un éclaircissement de quelques paroles que M. de Bagnols avoit dites à M. le Chancelier touchant M. de Chavigny qui avoit témoigné lui vouloir dire après la communion quelque chose d’importance. Il sut aussi de M. de Villesavin, père de cette veuve, que MM. de